Avant, c’est sûr, c’était simple. Il y avait Papa, il y avait Maman et, en fonction des régions et des catégories sociales, il y avait Mémère & Pépère, Pépé & Mémé, Papi & Mamie, Bon-Papa & Bonne-Maman, Grand-Père & Grand-Mère. Ainsi choisissait-on jusqu’à deux paires de noms. Oui, mais voilà, il est révolu ce temps-là. Si Papa et Maman sont toujours plus ou moins là, pour ce qui est des grands-parents, c’est autre chose. Entre plaisir de choisir et véritable casse-tête, c’est la créativité qui est convoquée à chaque naissance de nouveaux grands-parents.
Prenons un cas pratique : Isabelle, 54 ans, fleuriste, divorcée (deux fois), trois enfants, est grand-mère depuis deux heures. Quelle joie elle a ressenti quand son gendre de huit ans de moins qu’elle lui a dit « 3,8 kg / 51 cm, tout va bien ! » La belle brune a fait le plus beau des bouquets, sauté dans sa Mini et filé à la maternité. Que de la joie, que du bonheur ! Elle a élevé la voix de Bowie, chanté Heroes avec lui tout en se disant que, quand même, sa fille était une adulte maintenant et qu’elle… elle… quel coup de vieux elle prenait tout à coup : grand-mère, elle était devenue grand-mère. Quand elle est rentrée dans la chambre B27 de la maternité, sa fille a regardé sa fille… sa petite-fille quoi, et elle a demandé à son bébé : alors, comment on va l’appeler ?
« Mémère » ? — Ah non, ça fait trop vieux !
Bien sûr, c’était une blague. Dans nos imaginaires, Mémère est pantouflarde, fort dodue, chez les Canadiens, elle est même une commère. Impossible pour Isabelle, Isa, de se faire appeler Mémère. L’idée la fait rire autant qu’elle la terrifie. Mémère pour cette petite bouille, et BellisaFlower pour les deux sites de rencontres sur lesquels elle est inscrite ?! Oh, d’ailleurs, elle allait oublier, elle a rendez-vous en début de soirée avec Poesyman, il faudra qu’elle repasse chez elle pour se changer. Ah, l’éternelle jeunesse…
« Mémé » ? — Ben non, ce n’est pas possible…
Sur Mémé, il y a eu débat. C’est vrai que ça fait vieux aussi, mais sa fille trouve ça mignon quand même « Mémé » ; ça lui rappelle sa grand-mère et son arrière-grand-mère, elle les aime tellement toutes les deux. De son point de vue, ça pourrait être hyper fort de les nommer ainsi : Mémé, Grand-Mémé et Grand-Grand-Mémé. Aïe. Isa a soudain l’impression de n’être plus qu’une poupée russe toute flétrie. Elle pense « Je ne peux pas m’appeler comme ma mère quand même, et encore moins comme ma grand-mère qui approche la centaine. » Ah, la longévité…
« Bonne-Maman » ? — Non, pas question.
Encore une tentative de sa fille de la réconcilier avec son père. 23 ans qu’ils sont divorcés et, adulte ou pas, on dirait qu’elle ne s’en remet pas. Quelle histoire ! Célibataire, il s’était retrouvé avec deux annonces de grossesses à quelques jours d’intervalle. Se gardant bien de le dire à Isa, c’est elle qu’il avait choisie d’épouser pour finalement changer d’avis 7 ans plus tard. Aujourd’hui, re-divorcé à son tour et grand-père depuis quelques mois, il se fait appeler… Bon-Papa. D’après sa fille, Bon-Papa / Bonne-Maman, ce serait beaucoup plus clair pour son enfant, rapport à la descendance, mais Isa tient bon, elle refuse, en plus, la confiture, elle a horreur de ça. Ah, les séparations…
« Mamie » ? — Ah non, c’est pris !
Cette fois, c’est le gendre qui s’oppose. Ses fils de 11 et 9 ans, qui ont perdu leur mère et lui sa femme il y a 5 ans, ont déjà une Mamie : leur grand-mère maternelle, une femme adorable, unique, elle vient souvent à la maison, il faudrait trouver autre chose. Il a déjà refusé Mamie à sa mère, il ne peut pas l’accepter pour Isa. Mamisa, peut-être ?… Mamie / Mamisa, ce n’est pas assez différenciant. Et Mamibelle ? Euh… Mamibelle, non, ça ferait Mamibelle et Mamimoche, sans compter que ça fait vraiment trop penser au fromage. Ah, les familles recomposées…
« Grand-mère » ? — Et pourquoi pas Granny ?
Là, chacun y va de ses compétences linguistiques : oui, ou Grandma, ou Omma, ou Nonna, Hanna ou Amma, Babouchka, sinon Babka, à moins que… Abuela ? Quand nous ne sommes pas préparé(e)s à ce que la vieillesse tape symboliquement à notre porte pour nous dire qu’elle compte bien s’installer chez nous à terme, les langues étrangères nous permettent au moins de remettre un peu de distance. Et si, tout simplement, ce petit bout de chou qui réclame tout à coup à manger, l’appelait « Isa » ? Pour qu’on arrête de tergiverser, il acquiesce d’un plissement d’œil, tout en se disant qu’il a bien le temps de changer tout ça. Ah, ces bouts de chou…
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Sarah Décarroux