Suède vs France… Nous n’allons pas commenter un match de foot mais bien parler des EHPAD. Le rapport à l’âge et la gestion de l’hébergement des personnes âgées ne sont pas abordés de la même façon dans tous les pays. La Suède enregistre une espérance de vie pour les plus de 65 ans assez élevée : 16,8 années pour les femmes (vs 10,7 en France) et 15,8 années pour les hommes (vs 9,8 pour les hommes) [1]. Dans les faits, existe-t-il de grandes différences dans la prise en charge de nos seniors qui pourraient expliquer de telles différences ?
Nous avons rencontré Valérie Lefèvre, aide-soignante en Suède, dans un EHPAD « hors les murs ».
Elle nous livre sa vision des différences entre nos deux pays, particulièrement accentuées en période de COVID-19. Interview…
NB : l’interview et l’article ont été réalisés bien avant le changement de stratégie annoncé mi novembre
Quels sont les types de structures d’accueil des personnes âgées qui existent en Suède ?
Depuis les années 60, la Suède fait face à un vieillissement accru de sa population. Chiffre à l’appui : alors qu’en 2018, seulement 5% de la population avait plus de 80 ans ; la Suède prévoit en 2030 que 27,5% de sa population aura plus de 65 ans et que 9% aura plus de 80 ans. Cela a poussé le gouvernement à réfléchir et à adapter les mesures mises en place pour que ces dernières soient pérennes et efficaces. [1]
Comme nous l’a expliqué Valérie, « Bien sûr, les Résidences de services et les EHPAD qui existent en France existent aussi en Suède. Néanmoins, c’est le maintien à domicile qui est très répandu et plébiscité ici ». En effet, depuis les années 50, tout le domicile est le principe de base de l’accompagnement des seniors. Selon Dominique Acker, ancienne conseillère sociale pour les pays nordiques, « l’autonomie est considérée comme un tout et la personne est au centre ». La stratégie initiale de prise en charge des seniors en France et en Suède semble donc différer puisque l’EHPAD hors les murs est encore assez peu répandu en France.
Soulignons également que si cette solution a eu tant de succès en Suède, c’est aussi pour des raisons économiques. En effet, même si le niveau de prise en charge n’est pas forcément le même, Valérie nous explique qu’« il est souvent moins coûteux de rester chez soi en faisant appel à un service à domicile assez complet (ménage, soins, tâches du quotidien…) pour environ 200€ / mois que d’aller en EHPAD, où il faudra plutôt compter 3 fois ce budget. Il y a beaucoup de femmes très âgées qui vivent seules dans des grandes maisons et qui font appel aux services proposés par des EHPAD ; même si parfois, c’est uniquement pour rassurer une personne en la regardant prendre ses médicaments ».
Quelques chiffres pour appuyer ces propos. En 2015, 95% des personnes âgées vivaient à domicile, 4,2% en établissement et 0,8% dans d’autres structures adaptées. On le voit bien, le maintien à domicile est la norme. [1]
Existe-t-il d’autres solutions pour les seniors ?
En parallèle des EHPAD et Résidence de services qui existent également en France, un autre service s’est développé en Suède : le « Personal assistant », correspondant à une aide de vie à domicile. « Il ne s’agit pas d’apporter une aide médicale aux seniors à domicile mais plutôt d’assurer un accompagnement au quotidien (tenir compagnie au senior, l’emmener chez le médecin…) ». Cette pratique est assez fréquente en Suède puisque, dans le pays, 23% des seniors bénéficient d’une aide à domicile alors que 14% vivent en établissement. [2]
A noter également que l’importance des liens intergénérationnels est ancrée dans la mentalité suédoise depuis longtemps. La Suède a très vite pris en compte le fait que l’intergénération est une approche intéressante pour faire face aux défis démographiques qui émergent. C’est pourquoi beaucoup de crèches se sont installées au sein d’EHPAD pour mettre en place des sortes de colocations, ce qui se développe assez timidement en France. [3]
Qu’en est-il au niveau du quotidien en maison de retraite en Suède ?
Le quotidien est assez similaire au sein des EHPAD dans nos deux pays, que ce soit au niveau des repas ou de l’animation. Selon Valérie, une petite différence est à souligner : « Pour les personnes les plus dynamiques par exemple, des sessions de gym collective sont organisées en Suède. Ça s’apparente à des cours de gym suédoise, très énergiques, proposés par une assistante infirmière ». L’objectif est de maintenir au maximum l’autonomie des seniors qui sont encore capables de se déplacer. En France aujourd’hui, ce type d’activités existe aussi mais s’apparente davantage à de la gymnastique douce.
Au niveau des animations, la télévision est un passetemps réellement intégré à la culture suédoise pour apaiser les seniors. « La TV est également très utilisée en tant que « calmant », avec notamment un programme dans lequel on peut observer les migrations des élans avec une petite musique calme en fond. Il y a également des programmes spécifiques qui repassent des vieux reportages ou des programmes particulièrement apaisants. Il faut quand même souligner que cela s’explique aussi par le fait que la TV occupe une place assez importante en Suède. »
Au niveau des soins, Valérie nous explique que les approches non médicamenteuses sont largement valorisées : « on essaye de résoudre les problèmes de manière naturelle avec beaucoup de bienveillance, une bonne hygiène globale, en entretenant de bonnes relations avec les seniors et en s’appuyant sur des approches alternatives… ». Elle utilise l’exemple de la thérapie avec des poupées. « Ce sont des poupées assez neutres qui sont proposées aux personnes les plus anxieuses. L’aide-soignant vient alors en accompagnement pour la mise en place de ce type de thérapie. »
Enfin, Valérie souligne le fait que l’accent est également mis sur la prévention en Suède. Cela passe par des gestes simples : promouvoir l’activité physique pour les seniors, diffuser l’information sur la prévention des chutes… En parallèle, la proximité établie entre les soignants et leurs patients leur permet de détecter les moindres changements, et ainsi de réagir rapidement. « Tout est fait pour respecter le rythme du patient ; si par exemple un senior ne veut pas manger, on réessayera plus tard. La bienveillance est le maitre mot. », nous explique Valérie. [1]
Comment est financé le modèle scandinave ?
En Suède, la prise en charge de la dépendance repose sur la société, et plus précisément sur la municipalité. En effet, ce sont les municipalités sont les financeurs. Elles consacrent 19% de leur budget à l’accompagnement des personnes âgées.
Une autre donnée chiffrée pour mieux se rendre compte : en Suède, 2,7% du PIB est consacré aux dépenses publiques pour les personnes âgées. En France, ce pourcentage correspond à 1,4%. Néanmoins, notons que l’augmentation des dépenses publiques consacrées aux personnes dépendantes en France est exponentielle : d’ici 2060, elles représenteraient 2,07% du PIB. [1]
L’innovation et les nouvelles technologies de manière plus générale, aident-elles les équipes et les seniors ?
Tout comme en France, l’utilisation des nouvelles technologies pour soigner les seniors reste une pratique encore peu exploitée.
Néanmoins, le gouvernement Suédois a initié une coopération pour développer une politique nationale en faveur de l’usage des technologies dans le secteur sanitaire et social. Il axe ses efforts sur 3 innovations majeures :
- Le développement d’un dossier patient informatisé au niveau national.
- L’accès aux soins sur internet
- L’usage des nouvelles technologies pour la prescription des médicaments (ordonnances électroniques)
Plus concrètement, certaines municipalités font appel à des dispositifs de téléalarme communaux pour les seniors à domicile. Ces alarmes sont reliées à l’établissement de soins le plus proche, ce qui permet une intervention rapide en cas d’alerte. [4]
Valérie nous a rapporté quelques précisions en lien avec son expérience : « En établissement, il y a des clefs bluetooth qui permettent au personnel de fermer ou ouvrir à distance les portes des chambres en fonction des heures, des besoins de chaque résident… Les domiciles sont également équipés de ce dispositif d’ouverture/fermeture de porte à distance, ce qui permet au personnel de fermer la maison du senior à distance si celui-ci ne peut se déplacer jusqu’à sa porte ».
Comment est gérée la crise de COVID-19 de manière générale en Suède ?
Une différence majeure avec la gestion en France : « le port du masque n’est pas obligatoire dans la vie de tous les jours en Suède. Au début de la crise du COVID-19, le pays a été pointé du doigt à cause du nombre important de cas en EHPAD ; mais cela s’est ensuite lissé. En revanche, les aides-soignants, lorsqu’ils portent assistance à un senior, se munissent bien sûr de protections (masques, sur-blouses…) ».
Valérie nous explique aussi que des mesures gouvernementales ont été mises en place : « Par exemple, la commune a organisé gratuitement une grande séance de tests anticorps pour tester largement la population ».
Dans ce contexte de crise sanitaire, quelles sont les mesures mises en place en établissement ou à domicile dans le cadre des EHPAD plateforme ?
En règle générale, « lors des visites du personnel soignant à domicile, des règles d’hygiène strictes sont mises en place : port de visière obligatoire, port de gants, de sur-blouse en plastique et de protège chaussures. Et bien sûr, il est impératif de se désinfecter les mains entre chaque manipulation. Ces mesures sont conservées actuellement ». Mais Valérie, à partir de son expérience, nous précise un changement majeur : « lorsqu’un patient est testé positif au COVID-19, seul le « soignant référent » – qui travaille en CDI – est autorisé à aller lui porter assistance ». L’objectif est donc bien de limiter les contacts pour éviter la propagation du virus.
Un autre parallèle est à réaliser autour des liens sociaux. En France, l’interdiction de visites en EHPAD au printemps dernier a été fortement pointée du doigt, mettant en avant la rupture des liens sociaux. « En Suède, pour les résidents d’EHPAD, les visites sont interdites dans l’enceinte de l’établissement mais l’entourage peut rencontrer son proche à l’extérieur de la résidence. Pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer (ou être déplacés), les membres de la famille peuvent leur rendre visite, en portant une visière et en limitant le nombre de visiteurs ».
Est-ce que cette crise sanitaire réveille des tensions latentes au niveau du personnel ?
« Il n’y a pas de réelle tension au sens strict. En revanche, comme en France, un manque de personnel se fait sentir. Dès les premiers symptômes éventuels (identiques à ceux d’un rhume automnal), le personnel doit s’arrêter et revenir seulement lorsqu’il ne présente plus aucun symptôme. Beaucoup de remplacements sont mis en place ce qui permet d’avoir des conséquences assez limitées pour les patients. »
Néanmoins, la gestion est assez différente. Les remplacements en Suède sont facilités par le fait que les aides-soignants sont « formés sur le terrain ». En effet, Valérie nous explique qu’« il faut suivre une formation en ligne puis une formation pratique de 2 à 3h avec une infirmière pour pouvoir donner les médicaments, changer les poches intestinales, … L’infirmière vérifie que les gestes sont maîtrisés et délivre un genre de certification pour autoriser à réaliser ces soins. La polyvalence du personnel est un élément clé ici. »
Cette recherche de polyvalence peut notamment s’expliquer par le système de santé suédois dans lequel il y a peu de spécialistes, qui sont particulièrement chers. Ainsi chacun essaye d’élargir au maximum son champ de compétences.
… Un grand merci à Valérie pour son témoignage !
Victoire de Lambilly & Marie-Laurence Guffroy
Sources :
Témoignage de Valérie Lefèvre
[2] https://www.capgeris.com/actualite-349/hebergement-des-personnes-agees-en-suede-a38214.htm
[3] http://www.solidages21.org/wp-content/uploads/2012/09/solidarite_intergenerationnelle_en_europe.pdf