Dans la mythologie grecque on dit de « Chronos » qu’il personnifie le temps et la destinée. Aussi, baptiser un prix littéraire par ce nom, c’est désirer mettre à l’honneur le temps de rêverie et de partage que nécessite la lecture. Une lecture que Jacqueline Gaussens, Gérontologue et Co-Présidente de ce prix littéraire atypique initié en 1996, souhaite créatrice de lien intergénérationnel. Pour en douceur effacer les cloisons entre nos aînés et les plus jeunes.
En effet, face au regard empli de réticences porté sur le vieillissement, un groupe de Gérontologues rassemblé tout d’abord sous l’égide de la Fondation Nationale de Gérontologie puis depuis peu sous celle de l’UNIOPSS (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux), a décidé qu’il était temps que ce regard change et s’affranchisse des craintes qu’on y associe. Aussi déterminés que d’avant-garde, ces spécialistes ont estimé que la lecture serait un medium d’excellence pour s’adresser aux plus jeunes et faire évoluer certains préjugés sur nos aînés.
Pourquoi les enfants ? Tout simplement parce que dotés d’une pensée vierge et d’une parole affranchie des tabous, ils sont les médiateurs idéaux et deviennent en quelque sorte les éducateurs de leurs parents. Des parents souvent tenaillés par la peur de leur propre vieillissement ou par le vieillissement de leurs proches parfois synonyme de déclin ou de perte d’autonomie. Un miroir anxiogène dont l’enfant avide de racines familiales bouscule le reflet pour devenir le créateur d’une nouvelle représentation : celle de la complicité et de la compréhension retrouvées entre les générations.
Concrètement le prix Chronos de littérature propose à ses jeunes participants et à leurs enseignants à l’aide de niveaux de lectures découpés en six catégories (Maternelle CP – CE1/CE2 – CM1/CM2 – 6e /5e – 4e /3e – Lycéens, 20 ans et plus) de découvrir un florilège d’ouvrages sur les thématiques de la transmission du savoir, du parcours de vie, des liens qui se tissent entre les générations. Sans oublier la mort qui préoccupe les tout petits plus qu’on ne peut l’imaginer. Voulu comme un outil de transmission intergénérationnelle pour encourager les éditeurs à publier des ouvrages sur cette thématique et pour favoriser les réflexions autour des différents âges de l’existence, le Prix Chronos s’appuie sur une organisation peaufinée depuis maintenant vingt ans. Une coordination qui fait la part belle à l’élan citoyen puisque les votes dans les écoles sont faits à bulletins secrets avec cartes d’électeurs. Enfin, une fois la feuille d’émargement signée par les enseignants celle-ci est envoyée au Comité qui désigne les lauréats.
Et là encore à l’observation des ouvrages retenus, les surprises sont de taille pour le Comité de sélection. En effet, peu soucieux des lieux communs ce sont à nouveau les plus petits qui viennent par leurs désirs de rapprochement avec leurs aînés inverser les perspectives. Avec parfois des propos aussi inattendus que bouleversants confie Jacqueline Gaussens encore émue de cette phrase d’un petit garçon de neuf ans à l’issue du parcours Chronos : « Alors finalement la vieillesse ce n’est pas un défaut ».
Une réflexion entre candeur et philosophie qui atteste que ce prix littéraire facilite un lien durable entre les âges et qu’il fait corps avec sa maxime : « Grandir c’est vieillir, vieillir c’est grandir ».
C’est en mai 2015 à l’issue d’un passionnant marathon de lecture que seront nommés les heureux vainqueurs du nouveau Prix Chronos littérature 2015 qui cette année a rassemblé toujours plus d’auteurs et d’illustrateurs de qualité soucieux du monde qui les entoure. Des lauréats et un partage entre les générations qui seront mis à l’honneur en juin 2015 lors d’une cérémonie en présence des enfants. Longue vie également au Prix Chronos auquel nous souhaitons de nombreuses perspectives d’avenir comme celles d’oser aborder par la médiation du livre la fin de vie ou de faire connaître aux plus jeunes la maladie d’Alzheimer et son exclusion.
Enfin, un dernier merci enthousiaste à Jacqueline Gaussens pour sa ferveur à défendre le lien intergénérationnel et à croire en la lecture pour révolutionner nos regards sur le vieillissement.
Astrid MANFREDI