La révolution des seniors est en marche. Acteurs du changement, ils réinventent les codes sociaux et les comportements, ils s’affranchissent des formes de travail en vigueur, pour en apporter de nouvelles. Ils prouvent que l’on peut innover et évoluer à tout âge et nous amènent jusqu’à repenser la protection sociale et à nous demander si l’âge de la retraite a et aura encore un sens pour les générations futures.
La fin du salariat
Depuis quelques années, on voit de plus en plus poindre dans les médias une mutation de la nature du travail. Le salariat traditionnel et la relation de subordination sont en train de voler en éclats, faisant apparaître de nouvelles formes de travail qui répondent davantage aux attentes non seulement des actifs, mais également des entreprises. Ainsi, le CDI à temps plein n’a plus rien du standard et vient côtoyer une diversité de contrats et de statuts. Selon le Conseil d’Orientation pour l’Emploi, ce sont 600 personnes qui prennent le statut d’indépendants chaque jour, 9 contrats sur 10 sont des CDD et le nombre de multi-actifs a doublé en 10 ans. Les entreprises sont aussi de plus en plus nombreuses aujourd’hui à demander plus de flexibilité, à rechercher des compétences bien plus que du temps de présence, et à valoriser une personnalisation des conditions de travail.
Au-delà des mutations des formes du travail, c’est aussi le sens du travail qui est remis en question. Au niveau mondial, 90 % des salariés toutes générations confondues ne se sentent pas engagés dans leur travail (Etude Gallup, 2012). Face à cette crise existentielle, il y a une véritable nécessité et une forte volonté de la part des travailleurs de redonner un sens à leur vie professionnelle.
Notre système tire donc à sa fin, nous entrons dans une économie de la singularité, dans l’ère du switch, celle de redonner du sens au travail. Dans ce nouvel écosystème, on peut parler de révolution des seniors. Car les seniors sont les premiers à se saisir de ces évolutions et deviennent les adeptes de ces nouvelles pratiques modulables.
Les seniors : adeptes de la modularité
Deux mécanismes sont à l’œuvre pour expliquer l’intérêt de la modularité des seniors face au travail : un fort taux de chômage et une volonté d’une entrée dans la retraite à la carte. Ainsi, les seniors sont la première cible du chômage longue durée. Souvent écartés du recrutement des entreprises, 45 % passent par la case chômage entre la fin de carrière et la retraite. Les femmes âgées subissent alors une double peine : leur âge et leur sexe. En effet, le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans était de 48,4 % pour les hommes et de 43 % pour les femmes. Pour cette dernière tranche d’âge, le travail à temps partiel concerne plus souvent les femmes (37 %) que les hommes (13,5 %) (Dares, 2013). Face à un marché du travail qui leur ferme bien souvent les portes, les seniors doivent innover pour fabriquer leur propre travail.
Ils ne sont pas les seuls à devoir impulser de nouvelles pratiques d’emplois. Certains jeunes retraités, encore très actifs, sont dans la même situation. Ils veulent également participer au monde professionnel de manière nuancée – sans contraintes, à temps partiel – permettant un passage à la retraite progressif. Ce sont donc 450 000 personnes de 55 ans ou plus qui travaillent à la retraite (Drees, 2015). L’intérêt de ces jeunes retraités de reprendre une activité à la retraite est pluriel : obtenir des ressources financières supplémentaires, demeurer actifs, être utiles socialement, recréer de nouveaux liens sociaux, utiliser ses compétences, reconquérir un statut social, transmettre des expériences, trouver un nouvel équilibre de vie, ou encore obtenir la reconnaissance de son entourage. Pour l’entreprise, le travail à la retraite est indispensable pour éviter à ce titre la pénurie de talents professionnels, pour favoriser le partage des savoirs mais également pour leurs valeurs (fiabilité, connaissance de la valeur du travail, qualité relationnelle, etc.), leurs expériences et expertises qu’ils ont pu acquérir dans des domaines professionnels ou extra-professionnels tout au long de leurs parcours de vie.
Ainsi, ces seniors – en fin de carrière et en début de retraite – deviennent acteurs de leur propre parcours professionnel et mélangent à la fois des temps d’activité et d’inactivité. Ils jonglent entre de nouvelles formes d’emploi et des conditions modulables : auto-entreprenariat, portage salarial, freelance, travail à domicile ou dans des espaces de coworking, etc. Ils exercent avec envie ou obligation cette nouvelle modularité et deviennent les fervents protagonistes d’un passage travail – retraite à la carte permettant la pluralité des activités, tout en prônant une quête de sens. C’est cela, la révolution des seniors.
L’âge de la retraite a-t-il encore un sens ?
Face aux transformations multiples évoquées et à l’écart qui s’installe entre l’âge de la sortie du marché de l’emploi et l’âge légal de départ à la retraite, il est légitime de se demander si l’âge légal de la retraite a encore un sens.
A partir de 2017, l’âge minimum pour partir à la retraite sera en France de 62 ans et il a été évoqué de le relever à 63 ans. Même si l’individu a cotisé l’ensemble des trimestres demandés, il ne pourra pas partir avant cet âge. Au Canada en 2011 ou au Québec en 1982, cet âge légal a été aboli. Ainsi, les individus peuvent décider de partir à la retraite quand ils le souhaitent. Ils subiront bien évidemment une augmentation ou une baisse de leur pension de retraite en fonction de la durée de leurs cotisations.
Supprimer un âge légal de départ à la retraite pourrait peut-être convenir avec le profil des jeunes seniors d’aujourd’hui et s’insérer dans la logique d’un parcours de vie et d’une retraite à la carte. Ne faudrait-il pas laisser l’individu autonome, seul juge de ses choix et de ses risques, et donc lui donner la possibilité de partir à l’âge qui lui convient en fonction de calculs personnels liés à ses propres cotisations ?