En matière de vieillissement comme ailleurs, les stéréotypes ont la vie dure, surtout lorsqu’ils sont véhiculés dès le plus jeune âge. Si le gouvernement, via la loi d’adaptation de la société au vieillissement, cherche désormais à promouvoir un regard positif sur ce phénomène qui nous concerne tous, les programmes scolaires ont du mal à dépasser l’image d’un « vieillissement-problème ».
C’est en classe de 3e que les collégiens abordent le sujet, en cours de géographie. On y traite ce phénomène démographique exceptionnel qui a aujourd’hui des conséquences sur le futur du vieillissement : le baby-boom, période de croissance forte de la natalité liée à la fin de la seconde guerre mondiale. Ainsi en un an, de 1945 à 1946, on compte près de 200.000 naissances supplémentaires, pour atteindre le chiffre de 845.000, niveau ensuite conservé jusqu’à 1960.
Après le baby-boom, les collégiens enchaînent logiquement avec le vieillissement de la population. Celui-ci se caractérise par une augmentation de l’âge moyen (40 ans aujourd’hui, 42,6 en 2030 selon les projections de l’Insee), et l’accroissement de la part des plus de 65 ans dans la population, parallèlement à une baisse de celle des jeunes. Les manuels l’expliquent par l’entrée des premières générations du baby-boom (1945-55) dans la vieillesse, par l’augmentation de la longévité et enfin par la baisse de la natalité (une baisse relative en France par rapport à de nombreux autres pays : après avoir connu un point bas en 1990 à moins d’1,8 enfant par femme, le taux de natalité est remonté à presque 2 aujourd’hui, ce qui est exceptionnel en Europe). Jusqu’ici, tout va bien.
Les mots pour dire le vieillissement
« Malgré la croissance démographique de la France, la population vieillit. En effet, le pourcentage de personnes âgées est de plus en plus élevé car l’espérance de vie augmente. Cela pose problème pour financer les retraites et les dépenses de santé ».
Après l’exposé des faits, on étudie donc les conséquences. Il n’est ici question que du problème que constituent la vieillesse et l’augmentation de l’espérance de vie, pas des bénéfices pour la société. Les vieux, plus nombreux à la retraite, cela veut dire moins d’actifs pour payer les pensions, ce qui « menace » notre système, conçu à une époque où la situation était différente.
Dans le manuel (photo ci-après), le vieillissement est décrit comme « un problème et un risque », parce que les personnes âgées ont des « besoins importants » (on notera que dans cet ouvrage, être jeune dans les pays en développement et avoir résisté à la mortalité infantile n’est pas non plus une bonne nouvelle !).
Si bien qu’au moment de la discussion élèves-professeurs, nous raconte une élève de troisième, on fait réfléchir les adolescents aux « solutions » qu’on peut envisager face au vieillissement démographique. Voilà de quoi faire entrer dans les esprits en construction que les vieux sont un fardeau économique… et pas que ! S’étonnera-t-on alors qu’à la question posée, un autre élève, un peu provocateur, déclare, non sans une touche d’humour : « on peut soit faire plus d’enfants soit tuer les vieux ? ».
Les dépenses de santé, une chance !
A la question des retraites, les manuels ajoutent un autre risque associé aux « besoins » de la population de plus de 60 ans. Les « vieux » nous coûteraient trop cher en dépenses de santé. Il est vrai que les plus de 60 ans, qui représentent moins de 25% de la population consomment 65% de ces dépenses ! Mais ce n’est pas l’allongement de la durée de la vie qui en est la cause, mais la fin de vie : l’essentiel des dépenses de santé provient en effet des soins dans les deux dernières années de la vie, lesquelles arrivent plus tard*). En outre, si les dépenses de santé ont augmenté, c’est aussi en raison de l’amélioration des techniques médicales. Le vieillissement ne serait en fait responsable que de 20% de cette augmentation, estime Alain Villemeur, de la Chaire TDTE (Transition démographique, transition économique). Selon lui, et selon l’Organisation mondiale de la santé, les dépenses de santé sont d’ailleurs plutôt une bonne nouvelle. Car en plus d’être source d’un meilleur bien-être, elles sont source d’activité économique, de créations d’emploi et stimulent la consommation.
Il y a bien sûr de nombreuses autres raisons d’avoir un regard positif sur le vieillissement, pas seulement économiques, qui pourraient avoir une place dans un manuel de géographie : permettre aux enfants de connaître plus longtemps leurs grands-parents, favoriser le lien entre les générations, permettre à notre société de la vitesse, de ralentir le rythme… L’école n’est d’ailleurs pas en reste en ce qui concerne les ponts entre générations : elle commence à ouvrir l’enceinte de ses établissements aux anciens, avec le développement de l’intergénérationnel à l’école. Des vieux viennent y faire part de leur expérience, des jeunes vont en maisons de retraite, comme nous l’expliquait Carole Gadet, chargée de mission auprès du ministère de l’Education nationale. Il faut espérer que permettre aux diverses générations de se rencontrer permettra aussi peu à peu de changer le regard de l’Education nationale sur la dernière période de notre vie…
Sandrine Goldschmidt
*rapport sénatorial sur les conséquences macroéconomiques du vieillissement (2000)