Ma mémé,
Je t’appelle Mémé parce que ça te va bien et que ça rime avec été, sucré, rassuré et tous ces mots qui sont comme des câlins dans mon oreille. J’entends d’autres enfants qui appellent leurs grand-mères par leurs prénoms et qui se font gronder s’ils disent mamie ou mémé. Mais pour moi ce ne sont pas de véritables mémés car pour être mémé il faut avoir toutes ses rides et toi, mémé, je sais que tu les adores ces escales sur ton visage.
Je t’aime parce que tu sens bon un parfum que j’épèle depuis l’âge de six ans « Chat Lit Mare » et ça te fait sourire. Sur ta peau, il laisse une odeur de savon et de fleurs rares. Je t’aime parce que tu n’es pas pressée et quand je viens te voir tu ne sors pas du congélateur un poisson carré mais un vrai poisson de l’océan que tu enveloppes avec de la farine et ensuite tu le mets dans une poêle et il frétille et devient tout doré. Qu’est-ce que c’est bon avec un peu de citron qui pique la langue ! Je t’aime aussi parce que quand je suis triste tu me crois et tu ne réponds pas que ça va passer. Tu essuies mes larmes et après ça va mieux. En me blottissant contre toi je sens les couches de tendresse qui recouvrent ta peau. Ça fait un matelas douillet et tu rigoles et tu dis « Ta mémé elle flotte tellement elle a des bouées ».
Je viens te voir tous les étés et j’aimerais que ces moments durent jusqu’en hiver. Ne plus jamais quitter ta maison où rien n’est en aluminium et en plastique. Ta maison où il n’y a que du bois et des meubles très hauts et costauds dans lesquels je peux me cacher. Quand il pleut on joue toutes les deux et tu refuses d’allumer la télé ou de me laisser en compagnie des jeux électroniques. Avec toi on parle et on ne s’enferme pas dans de faux rêves. C’est comme ça que tu appelles tous les trucs qui sonnent, clignotent qu’on vend dans les magasins à des mamans qui n’ont plus le temps de raconter des histoires.
Puis avec toi il y a les livres. Tu les aimes tellement que je n’ose pas te contrarier. Je t’écoute me lire les aventures de petites filles espiègles et ce n’est pas démodé car je crois que les petites filles sont éternelles même si aujourd’hui elles portent des grosses baskets. Quand vient la fin du mois d’août et que je sais que je ne te reverrai qu’à Noël où tu viendras à la maison et dormiras sur le canapé, je me retiens de pleurer et je ne parle pas. Tu poses ta main sur mes cheveux et je sais que tu devines que j’ai le coeur gros. Pour le départ, alors que maman s’impatiente dans la voiture, tu me prépares une tartine avec du pain encore chaud et je fais durer le goût vrai pendant tout le trajet.
Ma mémé, est-ce qu’il existe une baguette magique pour que ce soit toujours l’été ?
Astrid Manfredi