Le cliché de nos parents et grands-parents découvrant, effarés, le monde des nouvelles technologies a pris un sacré coup de vieux ! Aujourd’hui, ils commentent allègrement nos photos de fin de soirée sur Facebook, achètent en masse sur Internet, écoutent de la musique en streaming. Certains pirateraient même les derniers épisodes de la série Engrenages en peer-to-peer et achèteraient du LSD sur Silk Road, le Bon Coin du Darknet…
Connectés, les vieux ? Rien d’étonnant finalement : rappelons-nous que les soixante-huitards ont à présent dépassé l’âge de la retraite ! Cette génération hippie et contre-culturelle a connu la mutation de l’analogique vers le numérique, elle y a même largement contribué : micro-ordinateurs, Internet, téléphonie mobile… Tout cela provient de leur cerveau. Et les spécialistes ont reconnu l’influence des mouvements de contestation des années 1960-70 sur l’état d’esprit d’Internet : partage des savoirs (gratuité), esprit communautaire (économie collaborative), émancipation des individus (démocratisation des outils de production), etc.
Beaucoup plus « geeks » que l’on croit
Ainsi, il s’agirait d’un bête remplacement de génération ? En partie, oui, mais cela ne doit pas cacher l’adoption bien réelle des nouvelles technologies par ceux qui n’y comprenaient rien de rien, il y a encore dix ans, notamment les plus anciens d’entre nous.
Quelques chiffres permettent de mesurer la geekisation des seniors. En France, 83% des 60-69 ans ont un téléphone mobile, 26% un smartphone et 14% une tablette (CREDOC, 2014). En France toujours, 34% des acheteurs en ligne ont plus de 50 ans et ils représentent 48% du volume d’achat (Nielsen, 2014). Aux Etats-Unis, 56% des plus de 65 ans sont utilisateurs de Facebook (Pew Research, 2014). En 2015, en Estonie, un pays qui a décidé d’ériger le numérique en priorité nationale, 30% des citoyens ont adopté le vote électronique, un quart de ces « e-votants » ont plus de 55 ans. La fracture numérique s’est fortement réduite en moins de 15 ans : 78 % des personnes résidant en France métropolitaine déclaraient avoir un accès à Internet à leur domicile en 2012, elles n’étaient que 12 % en 2000 (INSEE, 2013).
Une fracture persiste, cependant : celle de l’usage. D’après Mark Warschauer, professeur à l’Université de Californie – département éducation et informatique -, « la question clé devient alors non plus l’accès inégal aux ordinateurs, mais bien les manières inégales dont les ordinateurs sont utilisés ».
Si l’âge élevé (plus de 75 ans) et les inégalités sociales restent les principaux freins à l’utilisation des nouvelles technologies, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, nous sommes poussés collectivement et de toutes parts dans les bras du numérique. En effet, la vie quotidienne des individus s’articule de plus en plus autour d’outils technologiques et de services en ligne. Il devient très difficile d’y échapper, à l’image du téléphone portable, que l’on retrouve jusque dans les poches des plus démunis. Les services administratifs, les médias, les banques et bientôt les systèmes de paiement, les transports, les commerces en général se numérisent. Ne pas être connecté à Internet aujourd’hui peut être aussi pénalisant que de ne pas avoir de compte bancaire.
Le ver est dans le fruit
Ainsi dans un mouvement général vers le numérique, les plus âgés se laissent convaincre par un téléphone portable, une tablette, un bracelet connecté, etc. A partir de ce moment-là… Le ver est dans le fruit ! Et il ne faut pas longtemps pour les retrouver à jouer à la Wii dans les maisons de retraite, à se prendre en selfie sur le pont du Gard ou à jouer au poker en ligne !
Magnifique Wii strike dans une maison de retraite de la Vienne :
Mais ce sont les révolutions de la e-santé qui pourraient embarquer les derniers réfractaires. En dehors des « technophobes » purs et durs, ceux qui restent encore off-line malgré cette pression sociale et les avantages manifestes des nouvelles technologies, sont souvent dans des situations de handicap (difficultés à lire, à entendre…) ou de santé défaillante. Une offre adaptée se développe néanmoins, et devrait remporter un succès prochain, car elle apporte une aide réelle, à l’instar de cette canne intelligente avec GPS intégrée qui guide son propriétaire dans la ville toute en mesurant ses données vitales, afin de pouvoir alerter ses proches en cas de chute, d’anomalie cardiaque…
Avec les objets et la maison connectés, la e-santé est sur le point de faire un bond gigantesque. Elle va permettre aux personnes âgées de rester chez elles plus longtemps et à leurs proches d’être rassurés sur l’état de santé de leurs aînés. Assez paradoxalement, les seniors vont, d’un côté, gagner en autonomie grâce à la technologie et, de l’autre côté, développer une dépendance à cette même technologie. Sans parler de la surveillance continue que cela implique.
Extrait de la série Real Humans, saison 2 : les robots d’aide à la personne :
En tout cas, en attendant que les robots viennent s’occuper d’eux, les vieux ont délaissé les dominos pour jouer en ligne, et ils pourraient bien mettre une raclée à quelques champions de World of Warcraft et autres blockbusters du gaming. Car dans le monde virtuel, ce n’est plus l’âge qui compte, c’est le temps qu’on y passe !
Usbek & Rica