Les mutations démographiques et le prolongement de la durée de vie impactent le monde du travail. Une entrepreneure américaine souhaitant embaucher des seniors pour le moins enthousiastes s’est heurtée à la rigidité du code du travail et milite aujourd’hui pour sa nécessaire évolution.
Il y a tout juste 11 ans, Sarah Oliver, originaire de Mill Valley en Californie, commençait à confectionner pour ses proches des sacs à main en laine. De simple passe-temps, son activité est rapidement devenue une véritable entreprise. Aujourd’hui, sa marque, appelée Sarah Oliver handbags, est distribuée dans 90 points de vente à travers les États-Unis et via son site d’e-commerce. Alors que ses ventes explosaient, plutôt que de sous-traiter sa production à une main d’oeuvre étrangère bon marché, elle a souhaité transformer son entreprise en une entreprise sociale et ainsi, s’adresser à une force ouvrière locale à qui le projet pourrait bénéficier tant sur le plan humain que financier. Proche de The Redwood Community, une maison de retraite qu’elle fréquentait régulièrement, elle est parvenue à rassembler un groupe de six personnes, âgées de 75 à 99 ans, passionnées de tricot et enthousiasmées à l’idée de contribuer à son entreprise. En 2015, le cercle ne comptait pas moins de 25 personnes, issues de plusieurs maisons de retraite de la région.
Des travailleurs indépendants pour main-d’oeuvre
À l’origine, Sarah rémunérait à la pièce les membres du groupe, baptisés les « Purlettes +1 » (les “Tricotteuses +1” en français), le “+1” étant une référence à Hector, le seul homme du groupe. Les prix étaient décidés collectivement durant leurs rencontres hebdomadaires. « J’ai toujours considéré les Purlettes comme des travailleurs indépendants. Je ne disposais pas de beaucoup d’expérience dans le recrutement et j’ai fait de mon mieux pour trouver une solution qui convienne à tous, à savoir qui permette aux Purlettes de travailler et d’être rémunérés », détaille Sarah.
Et les Purlettes manifestaient un véritable engouement pour l’entreprise de Sarah tant pour les bénéfices humains que financiers qu’ils parvenaient à en tirer. « Les langues se sont peu à peu déliées. Ils me disaient que tricoter en groupe pour un but commun leur donnait une raison de se lever le matin, raconte-t-elle. Il leur tenait à coeur de soigner leur travail tant ils souhaitaient que l’esthétique des sacs soit parfaite. Ils me confiaient combien le projet leur donnait l’impression d’être en vie et leur fournissait un sujet de conversation à aborder avec leurs proches. Aussi, certains ont évoqué le pouvoir méditatif du tricot et sa capacité à apaiser leurs insomnies. Par ailleurs, pas question de travailler bénévolement ! Les résidents négociaient dur leur rémunération et tenaient également leurs comptes de manière minutieuse. Il leur importait d’être payés à hauteur du travail fourni ».
Mise en avant de l’emploi des seniors dans l’entreprise
La réaction des consommateurs s’avérait tout aussi positive. « De manière transparente, je communiquais sur notre démarche et l’activité tournait parfaitement bien. Les consommateurs semblaient développer un attachement émotionnel à nos produits car chacun d’entre eux raconte une histoire particulière », explique Sarah Oliver.
Son activité grossissant, Sarah apprenait au jour le jour à apprivoiser les aléas de la vie d’entrepreneur et peinait parfois à se rémunérer. Elle a souhaité alors s’entourer de mentors qui pourraient l’aider à faire prospérer son entreprise sociale.
La presse s’étant intéressée au cas de Sarah, elle fut même invitée en décembre 2015 à participer à la célèbre émission américaine Shark Tank. L’émission consiste à permettre à des entrepreneurs de présenter leur projet face à quatre investisseurs dans l’espoir de susciter leur intérêt et recueillir des promesses d’investissement. Sarah réussit l’exercice avec brio puisque trois investisseurs lui ont fait une offre à hauteur de 250 000 dollars. Au moment de l’émission, Sarah expliquait que les Purlettes étaient capables de tricoter trois sacs à main par semaine en moyenne, ramenant la production à 4 000 pièces par an, un modèle qu’elle pensait pouvoir faire progresser en développant la communauté de tricoteurs.
Un statut contesté par le Ministère du travail
Placée sous le feu des projecteurs, Sarah s’est également attiré les regards du Ministère du travail de Californie et de l’Etat fédéral. Les autorités n’ont en effet pas reconnu le statut de travailleur indépendant des Purlettes et ont sommé Sarah de les classifier en tant que salariés. En effet, selon la loi, étant donné que les tricotteurs ne produisaient que pour le compte de Sarah Olivier, cette dernière étant leur unique cliente, ils ne pouvaient être reconnus comme travailleurs indépendants. « J’ai embauché les Purlettes en tant que travailleurs indépendants, ce qui leur permettait d’avoir un contrôle sur la manière de réaliser leurs productions. Mon projet ayant un caractère social et les Purlettes siégeant au centre de mon entreprise, cela ne m’intéressait pas de leur imposer des horaires de travail et encore moins d’embaucher les éléments les plus productifs du groupe, une logique que le statut de salarié m’aurait forcée à suivre. Par ailleurs, nous discutions très ouvertement de la situation avec les Purlettes et ils ne souhaitaient pas non plus évoluer dans un cadre de travail inflexible et stressant », commente Sarah. Le Ministère du travail ne fléchissant pas, Sarah a ainsi dû cesser sa collaboration avec Les Purlettes. Elle a dû se résigner à faire appel à des prestataires plus classiques. Sarah continue pourtant de se battre pour trouver un statut légal adapté aux Purlettes+1. Ces derniers ont envoyé des dizaines de lettres au gouvernement, qui n’a pour l’heure pas répondu. « Le code du travail n’est pas à l’image des changements démographiques auxquels nous faisons face aujourd’hui. Entrepreneurs et gouvernements doivent ensemble amorcer une évolution », défend Sarah.
Aujourd’hui, 5.6% de la population active américaine, soit 9 millions de personnes, est âgée de plus de 65 ans et ce pourcentage est en constante augmentation depuis le milieu des années 80. Quand en 1985, 7,3% des femmes âgées de plus de 65 ans travaillaient, elles sont aujourd’hui 15,3% (pour les hommes : 15,8% en 1985 contre 23,4% en 2015).
Pauline Canteneur
@atelier_us