Deux-mille-vingt. Monsieur D. 82 ans sait qu’il passera une bonne journée. En se réveillant, il a consulté les données de son bracelet connecté « Garder la forme » lui indiquant qu’il ne souffrait d’aucune apnée du sommeil et que son rythme cardiaque suivait la bonne fréquence. Afin de remédier à ses insomnies, le bracelet lui recommande trente minutes de marche et Monsieur D. n’oubliera pas de faire sa promenade cet après-midi.
« Anticipation » dites-vous ? Pas tant que ça car nous sommes déjà en pleine révolution E-santé et ce ne sont ni Google ni Apple qui nous contrediront quand on sait que l’essentiel de leurs investissements est à ce jour consacré aux objets connectés et que plus de 100 000 applications mobiles E-santé sont disponibles sur le marché. Toutefois, comme toutes les révolutions, celle de la E-santé occasionne des peurs aussi justifiées que farfelues.
Aussi, pour éviter les confusions et autres clichés qui circulent sur cette nouvelle prise en charge de notre santé, revenons aux grandes lignes et redéfinissons ce qu’est la E-santé. Interrogeons-nous sur ses évolutions et ses répercussions sur la qualité de vie de nos aînés. Enfin, tâchons de comprendre comment cette révolution technologique va parvenir à s’inscrire en toute transparence dans la géographie de notre santé au même titre que la carte Vitale ou qu’une consultation chez le médecin.
Pour l’Organisation Mondiale de la Santé, la E-santé se définit comme « Les services du numérique au service du bien-être de la personne ». Une définition humaniste qui pose clairement les enjeux intimes de cette révolution, la sortant ainsi du cadre trop commercial que certains voudraient bien lui voir endosser pour profiter d’un marché juteux. Parmi ses applications les plus connues, les objets connectés, de plus en présents dans notre quotidien, à tel point que neuf Français sur dix sont aujourd’hui en mesure d’en citer au moins deux, mais aussi la télémédecine définie comme la pratique médicale à distance utilisant les technologies de la communication.*
Dans un premier temps, sceptiques et estimant que leur implication serait amoindrie voire galvaudée, les médecins ont finalement accueilli positivement ces divers outils qui permettent de favoriser les échanges entres praticiens. Mais aussi pour les objets connectés d’améliorer la relation avec leurs patients et de les orienter vers de bonnes pratiques hygiéno-diététiques notamment pour les pathologies chroniques qui affectent plus particulièrement nos aînés. Une efficacité dans le suivi de ces maladies que viennent étayer les chiffres car les objets connectés les plus utilisés sont ceux liés aux maladies respiratoires (59%) comme l’asthme, ceux liés à l‘hypertension artérielle ou l’insuffisance cardiaque (54%) et enfin ceux en lien avec le diabète (18%).
Véritables outils d’éducation thérapeutique, la E-santé et ses applications ont transformé la vision du patient. C’est donc un patient acteur de sa santé et soucieux de son observance qui consulte son médecin. Un patient du 21ème siècle bien décidé à venir à bout de la fracture numérique car c’est à tous les âges de la vie qu’on se connecte à internet via son Smartphone ou un ordinateur.
Une profusion d’utilisateurs qui a pleinement profité du boom de la E-santé à tel point que les pouvoirs publics se sont emparés de cette étoile de la modernité et que Marisol Touraine a déclaré en 2013 : « Demain, nous pourrons opérer à distance au quotidien. Les personnes atteintes de maladies chroniques pourront accéder à une consultation personnalisée sur leur smartphone. Les jeux vidéos seront utilisés pour l’éducation thérapeutique. »
Parmi les autres ambitions de la E-santé pour améliorer le quotidien de nos aînés, revient sur la table des réflexions celle qui consistera à faciliter l’accès aux soins dans les zones de désertification médicale. Peu épargné, le monde rural souffre en effet d’une absence de soignants et c’est pour nos vieux de la campagne un parcours du combattant avant d’obtenir un rendez-vous chez leur médecin. Une injustice que pourrait combler la E-santé grâce à la généralisation des consultations à distance.
Enfin, impossible de refermer cette saga sans aborder les maladies neurodégénératives dont 900.000 personnes sont affectées en France. Là encore, la E-santé se veut comme un outil d’avenir et d’espoir pour ces patients qui, selon les sources de l’Inserm, pourraient, en 2020, atteindre le chiffre de 1,3 million, en leur permettant de préserver une certaine autonomie, mais aussi de mener une vie plus sûre qui rendrait envisageable le maintien à domicile. Des outils de géolocalisation pour les maladies d’Alzheimer, les techniques d’aides à la mobilité (exemple de la canne intelligente équipée d’un GPS) laissent déjà entrevoir des possibilités de réassurance à ces patients et soulagent quelque peu des aidants très sollicités. Demeurent cependant incertaines les questions du financement de l’accès à ces technologies. Un financement par la Sécurité sociale ou par l’assurance complémentaire santé plébiscité par 70% des Français et plus de 80% des patients.
Saluons aussi les initiatives des programmes de recherche qui planchent autour d’une maison de retraite du futur connectée. Parmi les préoccupations des personnes âgées arrive en tête le placement en maison de retraite du fait de son coût mensuel (environ 3000 euros par mois) et de l’arrachement affectif qu’il représente.
Là aussi il est envisageable que la E-santé parvienne à des solutions plus acceptables. Les réflexions autour d’un Ehpad à domicile qui offre la même qualité de services que les résidences spécialisées en est une illustration. La plate-forme « EVIDENT » composée de capteurs et d’interfaces permettant à la personne âgée de rentrer en contact avec son environnement familial ou médical via la télévision, des interfaces gestuelles ou encore une plate-forme mobile est actuellement en cours de déploiement dans des familles et semble promise à un bel avenir. Une conciliation intelligente de l’aide humaine et de l’aide technologique.
En dépit de ses atouts, la E-santé a néanmoins encore certaines zones d’ombre à éclaircir si elle veut être le soutien solide du médecin. Il en est de même pour les objets connectés dont les Français sont friands à condition que les données émises et transmises soient fiables au niveau médical et juridiquement sûres car 50% d’entre eux craignent que la santé connectée ne menace le secret médical. La CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) réfléchit justement à cette dimension et a d’ailleurs consacré son cahier « Innovation et Prospective » aux axes de régulation possibles.
Autre écueil envisagé souvent brandi par les Sciences Humaines : celui de la déshumanisation. Dans une société où le lien social s’appauvrit, il ne s’agit pas de substituer le connecté à la relation humaine qui demeure le pilote de notre santé. Et la technologie ne doit pas nous désolidariser de nos aînés car un objet ne pourra jamais remplacer le son d’une voix ou la chaleur d’un toucher.
En dépit de ses détracteurs et des questions éthiques en suspens, la E-santé a néanmoins réussi à trouver sa place dans la prise en charge de la santé humaine. A tel point qu’elle est désormais perçue par les Pouvoirs Publics comme une solution pour endiguer des dépenses vertigineuses. Et la généralisation de ses applications représenterait pour la Sécurité sociale un moyen d’envisager de nombreuses économies. Un paramètre financier qui pèse dans la balance.
La E-santé a donc un bel avenir devant elle mais pas à n’importe quel prix. Connectés oui, mais humains.
Et n’oublions pas cette phrase de Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
Astrid Manfredi
– La téléconsultation offrant à un professionnel la possibilité de réaliser une consultation à distance,
– La télé-expertise permettant à un professionnel de solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs
professionnels,
– La télésurveillance médicale, acte par lequel un professionnel interprète à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient,
– La téléassistance médicale permettant à un professionnel d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte.