« Dans un monde qui change, vieillir est un futur à inventer ». Vaste sujet qu’une soixantaine de retraités, professionnels et experts concernés par le vieillissement ont exploré pendant deux jours au siège social de BNP Paribas Cardif, dans le cadre d’un Jam, un atelier de co-création ludique et intense.
Tout a commencé par une série de conférences où nous avons appris avec stupeur et tremblement que nous sommes seniors à 44 ans, que la vie avant 50 n’est qu’un échauffement, que vieillir c’est rencontrer des gens de plus en plus jeunes, que nous allons pouvoir rester chez nous même très vieux, bardés que nous serons de toutes sortes de capteurs et de robots, que le design d’objets pour les plus vieux est bénéfique à tous, que demain la ville sera verticale et en forme de lotus pour capter l’air pur, que Pôle Emploi est devenu un incubateur d’entrepreneurs au seuil de la retraite, que la sénescence peut aussi s’écrire « c’est-naissance » et donc annoncer une « re-naissance », que dans fin de vie, il y a « vie » et qu’il faudrait veiller à ne pas regretter trop de choses à ce moment-là, comme de ne pas nous être autorisés à être plus heureux, mais qu’en même temps, il ne faut pas en faire toute une histoire non plus, parce que de toute façon nous serons immortels, ce qui va nous laisser pas mal de temps… Sauf que ce ne sera pas l’espèce humaine qui va en fait disparaître, mais les « transhumains » qui vont vivre 1000 ans. Woody Allen, qui n’était pas là, nous l’a confirmé : « ne vous inquiétez pas, il n’y aura pas de survivant ». Donc, finalement le mieux serait de rester imparfait, ce qui est l’essence de la poésie, et d’en plaisanter avec Florence Foresti, qui n’était pas là non plus : « nous ne sommes pas vieux, nous sommes vintage » !
Le temps de se remettre de toutes ces nouvelles fracassantes, les jammers – les participants – ont rejoint leurs équipes respectives et revêtu les couleurs du thème qu’ils allaient approfondir : retraite, santé, mode de vie, tribu, habitat ou mobilité. Quelques questions ont brisé la glace et révélé parcours et personnalités :
« Racontez quelque chose qui vous a rendu particulièrement fier ?
– J’ai fait 2h30 de queue pour aller à l’expo de « Game of Throne,
– J’ai couru 50 km en arrière,
– J’ai fait mai 68,
– Je croyais que mai 68 était une entreprise de dépavage des rues de Paris… »
Ca commençait à taquiner, un signe qui ne trompe pas, les groupes prenaient corps. Les rouges se voyaient déjà à Koh-Lanta et les bleus inventaient des signes de ralliement. Nous étions sur la bonne voie.
La visite du Cardif Lab et d’une exposition sur les tendances sociétales sont venues compléter les connaissances des participants : découverte d’innovations, de la canne qui tient debout toute seule à l’exosquelette ; sensibilisation à l’habitat végétalisé, aux véhicules autonomes, au financement participatif ou encore à la médecine prédictive.
Puis, le moment « World café » a été un sas d’expression fécond. Les jammers ont affirmé l’importance de l’humain et rejeté le tout technologique « J’ai peur du détournement des technologies. Ca s’appelle l’évolution mais jusqu’à présent c’était plutôt la vie qui décidait », « Le quantified-self ? C’est bien de détecter des choses… Mais pour en faire quoi ? », « Vieillir entourée de robots et me sentir plus seule encore », « où est l’humain dans le transhumain ? », « Je ne veux pas vivre 500 ans », « des puces dans les bébés ?!? Non merci. ».
De cette première appropriation ont surgi plusieurs paradoxes, tout au moins en surface : craindre et la mort et l’immortalité, avoir peur de la dépendance ou de la maladie et refuser une technologie qui redonne de l’autonomie ou permet de mieux soigner. La technologie dépossède-t-elle l’humain de quelque chose qui lui est cher ? Génère-t-elle une nouvelle forme de dépendance, laquelle ? Hors de question pour les jammers de signer un chèque en blanc, il était temps d’entrer dans le vif du sujet et d’imaginer cette autre façon de vieillir.
Les participants ont alors défini pour chaque thématique, des enjeux, des freins, un idéal et des leviers pour l’atteindre. Pour illustrer le fruit de leur réflexion, ils ont ensuite co-construit avec les designers de Nod-a une vidéo prototype d’une minute trente mettant en scène cet idéal.
En conclusion, et en avant-première d’un travail d’analyse approfondie et d’une enquête qui permettra de confronter les aspirations des jammers à une population plus large, voici les messages clés de ces deux jours. En premier lieu, ils conçoivent la retraite comme une renaissance : une nouvelle vie commence, dans laquelle les liens sociaux et humains prédominent, une vie plus libre, moins contrainte, pleine d’opportunités de se réaliser autrement ou dans la continuité d’activités précédentes (engagement associatif, pratique culturelle, reprise de formation, etc.). Ensuite s’est exprimé fortement le refus d’être stigmatisés par l’âge. Non seulement ils ne se reconnaissent pas dans la catégorie senior, mais en plus elle les heurte. Ils rejettent l’idée même que la classe d’âge puisse être un critère d’appartenance. Enfin, s’ils perçoivent l’intérêt des innovations technologiques, comme les objets connectés, les exosquelettes, les prothèses ou les implants, etc. Ils restent toutefois prudents, exprimant le besoin d’être mieux informés et rassurés concernant l’utilisation de tels outils.
Affaire à suivre…
Usbek & Rica