Dans les années 1970, le docteur américain Denham Harman, élaborait sa théorie du vieillissement et identifiait les responsables possibles de la dégénérescence du corps. Ses travaux ont ouvert la boite de Pandore : peut-on agir sur le mécanisme du vieillissement, le ralentir, le bloquer, voire le rendre réversible, à la Benjamin Button ?
Bande annonce du film L’étrange histoire de Benjamin Button :
« Le premier homme qui va vivre 1000 ans est déjà né ». Cette prédiction attribuée au biogérontologue autodidacte Aubrey de Grey, sera-t-elle auto-réalisatrice comme l’est celle de la loi de Moore, qui constate le doublement de la puissance de calcul informatique tous les 18 mois, sans aucun fondement scientifique ? En tous cas, elle révèle en creux la course qui se joue aujourd’hui dans le secteur des biotechnologies, moteur de la lutte contre le vieillissement.
Les biotechnologies : boom ou bulle ?
L’indice biotechnologie du Nasdaq à la bourse de New York croît fortement depuis 2 ans (+ 120 %). Le ratio entre le prix des actions et les revenus des sociétés biotechnologiques est de 400 pour 1, de quoi alarmer certains analystes financiers qui prédisent une nouvelle bulle spéculative, d’un niveau proche de la bulle Internet des années 2000. Les introductions en bourse des entreprises des biotechnologies font les gros titres : Celyad (« we care, we cure ») lève 100 millions de dollars sur le Nasdaq, Cellectis (« The life science company »), 212 millions, Galapagos genetics, 275 millions, etc. Les fusions et acquisitions dans le secteur sont un autre indicateur de l’appétit général pour les biotech : 36 % du portefeuille de Google (720 millions de dollars) concernent la biotechnologie, et le géant de Mountain View a créé en 2013 Calico, une start-up qui ambitionne d’éradiquer la mort…
Nasdaq Biotechnology Index : une croissance continue depuis plus de 10 ans :
Vers la mort de la mort ?
Laurent Alexandre, chirurgien et co-fondateur du site Doctissimo, connu aujourd’hui pour ses conceptions proches du mouvement américain du transhumanisme, rapporte dans son livre La mort de la mort (JC Lattès – 2011) que chaque jour l’espèce humaine est plus près d’être immortelle : elle gagne cinq heures d’espérance de vie. Mais quelles sont les solutions envisagées par les scientifiques afin de faire reculer la mort, au point de la rendre désirable ? L’immortalité légalisera peut-être l’euthanasie…
1 : La génomique et les thérapies géniques
En 2011, une équipe de chercheurs de l’Inserm dirigée par Jean-Marc Lemaitre a réussi à rajeunir des cellules de personnes âgées, vieilles de plus de 100 ans. L’équipe avait ainsi démontré la réversibilité du processus de vieillissement cellulaire.
Fin 2014, une méduse a focalisé l’attention des médias : la turritopsis nutricula. Cette créature -presqu’ immortelle- commence sa vie sous la forme d’un polype (comme du corail ou une anémone de mer), puis se transforme en méduse. Sa particularité est de pouvoir inverser ce processus à la fin de sa vie ou en cas de blessure, réactivant ses cellules souches, comme si un papillon pouvait redevenir chenille puis de nouveau papillon… Le chercheur japonais, Shin Kubota précise qu’il s’agit davantage d’une forme de clonage que d’une réelle immortalité.
Les cellules souches sont devenues en quelques années le remède miracle, le fantasme de la fontaine de jouvence, comme si nous pouvions rebooter notre corps régulièrement, le mettre à jour, afin de se redonner un coup de jeune. Si les cellules souches représentent un vivier de progrès scientifique colossal, les législateurs freinent des quatre fers, se trouvant face à un abîme éthique sans fond et sans prise. Mais les chercheurs et les investisseurs trépignent d’impatience. Difficile de résister à l’appel du mystère de la vie et de la mort…
2 : Les nanotechnologies réparatrices
Autre piste : surveiller en continu le corps et le réparer au fur et à mesure, grâce à des nano-particules qui nous seraient injectées, un peu comme dans « Il était une fois la vie ».
Des nanorobots pourraient par exemple nettoyer les artères saturées de cholestérol, se substituer aux anticorps en se fixant sur les virus, débarrasser l’organisme de parasites, remplacer des morceaux d’ADN déficients ou encore délivrer des traitements directement dans une tumeur.
Ces nanorobots collent parfaitement à l’esprit du temps : s’attaquer aux maladies et à la dégénérescence de façon ultra précise, et non plus macro, comme avant. Un projet que défend le jeune Français Xavier Duportet, qui, du haut de ses 27 ans et d’une thèse en biologie de synthèse, développe avec sa start-up PhageX. Le principe est simple : créer un antibiotique qui s’attaquerait uniquement aux mauvaises bactéries, dans les cas de cancers ou de staphylocoques dorés par exemple : « Nous voulons être les tireurs d’élite de la microbiologie, là où les antibiotiques actuels sont des bombes nucléaires qui éradiquent toutes les bactéries présentes dans le corps, y compris celles qui sont utiles », déclarait Xavier Duportet à La Tribune. Le médicament, en phase de test, devrait être commercialisé dans moins de dix ans.
3 : L’hybridation entre l’homme et la machine
Ici, il s’agit d’augmenter l’être humain par des prothèses ou des implants, l’associer à la puissance de la machine, jusqu’au point peut-être de s’extraire de son enveloppe charnelle et devenir entièrement digital. Le mouvement transhumaniste explore, sans complexe, les frontières du corps humain et du déterminisme génétique. Certains voient dans la fusion homme/machine une façon pragmatique de régler des problèmes précis (une sonde électrique dans le cerveau pour contrer la maladie de Parkinson, une prothèse pour remplacer une main amputée…), d’autres la possibilité de vivre de nouvelles expériences physiques (recherche de sensations ou de performances), d’autres enfin s’inscrivent dans une vision presque messianique : le dépassement de l’homo sapiens et l’accession à une nouvelle humanité, énumérait Manuel Zacklad, professeur au CNAM, lors d’une conférence sur le transhumanisme au Festival Futur en Seine, en juin 2015.
Sans préjuger du bien-fondé on non de cette hybridation, nous pouvons néanmoins nous interroger sur la pérennité de ces technologies. Faudra-t-il se mettre à jour tous les 18 mois sous peine de se retrouver marginalisé ou bien avec des prothèses qui ne sont plus garanties par leur constructeur ? Faudra-t-il suivre un traitement à vie pour éviter le rejet de corps étranger ?
Fausse publicité de Sarif Industry et l’envers du décors (extrait du jeu Deux-ex Human Revolution) :
Il faudra aussi déterminer le niveau de délégation acceptable aux machines et donc celui de notre autonomie restante, et en filigrane, de notre responsabilité juridique : est-ce moi qui ai frappé cet individu ou ma main bionique ? La question de l’égalité sociale est évidemment l’autre grande question. Les riches seront-ils les seuls à pouvoir vivre (presque) éternellement ? Pour une fois, ironisait Manuel Zacklad, que ce sont les riches qui servent de cobayes !
Usbek & Rica