Aux États-Unis, des communautés de seniors, aidées de solutions technologiques, s’organisent pour faciliter l’entraide et briser le cercle de la solitude chez les personnes âgées.
Vous avez dit « mouvement des villages » ? Né en 1999, ce concept de communautés de seniors rappelle fortement l’économie du partage. Son objectif ? Servir l’autonomie des seniors en se basant sur l’entraide de la communauté. Depuis la création du premier village, Beacon Hill, à Boston, le mouvement a pris de l’ampleur et 205 villages feraient à présent partie du réseau de l’association « Village to Village ». Chaque village est administré par une équipe locale qui se charge de faire vivre la communauté en mettant en relation les résidents ayant besoin d’aide et des volontaires capables d’accomplir un certain nombre de services : conduire une personne à un rendez-vous médical, tondre une pelouse… Par le volontariat, ces villages répondent aux attentes des seniors en créant ainsi un cercle vertueux : les habitants peuvent en aider d’autres en fonction de leurs capacités, disponibilités et compétences tout en sachant que peut-être , un jour, ce seront eux qui bénéficieront de l’aide d’autres membres.
Des infrastructures archaïques
Cependant, le fonctionnement de ces communautés de seniors repose sur des infrastructures technologiques archaïques. À l’origine, ces dernières ont été conçues pour permettre aux employés des villages de gérer des tâches administratives. Elles ne comportent donc pas d’interface dédiée à l’utilisateur final, le senior. Concrètement, si un résident du village souhaite trouver un conducteur pour l’emmener chez le coiffeur à une date donnée, il doit téléphoner au centre de gestion du village qui enregistrera dans un premier temps sa demande. L’employé enverra par la suite un email à la liste des volontaires. Si 5 d’entre eux répondent en même temps, il doit alors en sélectionner un, s’occuper de lui envoyer les modalités du service à accomplir et prévenir les 4 autres volontaires que leur aide n’est plus nécessaire. Chaque demande requiert donc un traitement long et fastidieux pour l’employé et elle peut même frustrer le volontaire potentiellement à même d’essuyer plusieurs refus.
Un réseau social pour les communautés de seniors
Il y a un an et demi, Manuel Acevedo, un serial entrepreneur suisse basé dans la Silicon Valley depuis plusieurs années, s’est attaqué à la source du problème. « Le défi macroéconomique est de taille, le nombre de seniors aux Etats-Unis ayant vocation à doubler en 20 ans. Cette croissance démographique entraîne une augmentation des coûts de santé. Le système sera donc sous pression. En parallèle, les populations qui arrivent à la retraite ont envie d’aider la société sans pouvoir être intégrées facilement au marché du travail. Et de nombreuses études montrent l’impact de l’isolement social et de la dépression sur la santé mentale et physique des individus. Peu importe l’âge, avoir des interactions sociales est une composante essentielle du bien-être ! Il a été également démontré qu’apporter son aide à autrui comme recevoir de l’aide et remercier, apportent de la satisfaction et du bien-être. C’est pour cela que je crois au mouvement des villages. Pour autant, en devenant moi-même bénévole dans un village, j’ai réalisé que de nettes améliorations pouvaient être réalisées du point de vue technologique ».
Au-delà des problèmes techniques, Manuel a pu également observer comment des groupes de discussion se réunissaient régulièrement sur certains sujets relatifs à la santé par exemple, sans avoir recours à une quelconque technologie. Ce que Facebook, via les événements, ou ce que les sites de référencement d’événements, à l’image d’Eventbrite, réalisent pour d’autres générations. C’est ainsi qu’il a créé Helpful Village, une interface à destination des communautés de seniors permettant de rassembler différents types de contenus allant des demandes de services aux événements hébergés par le village.
Un réseau social qui s’inspire des champions de l’économie à la demande
Le produit développé par Helpful Village consiste en une interface conçue pour les résidents du village ainsi que pour les volontaires, prêts à apporter leur aide. Il peut être accessible depuis la navigation web. Une application mobile est également disponible. « Notre système fonctionne de manière similaire à Uber. En quelques clics, le volontaire peut accéder à l’ensemble des services requis par les habitants, disposer des détails relatifs au service et choisir de s’occuper d’une demande ou de décliner l’offre. Il existe aussi un système d’évaluation du service par le bénéficiaire. S’il ne s’agit pas d’une révolution technologique en soi, nous parvenons à optimiser considérablement les actions des employés des Villages. Nous cassons aussi certains stéréotypes. Non, tous les seniors ne rejettent pas en bloc la technologie ! Tout dépend du produit qu’on leur présente. Si celui-ci est facile d’utilisation et adapté à leurs besoins, les seniors ont le potentiel non seulement d’adopter la technologie mais aussi de l’adorer ! » explique Manuel.
Toutes les demandes ne pouvant être traitées par les volontaires, dans le cas d’un service de plomberie par exemple, l’interface comporte également un référencement de prestataires de services locaux. Cette liste est au préalable validée par l’administration du village. Elle peut être alors utilisée en toute confiance pour les habitants. Il en va de même pour les volontaires dont les employés du village vérifient les antécédents judiciaires. L’interface constitue également une base de données des événements et des groupes de discussion qui peut être consultée à tout moment. « Comme toute start-up, nous regardons de près certains paramètres pour évaluer la performance de notre solution. Nous observons par exemple l’évolution du nombre d’interactions sociales qu’un membre peut avoir en une journée ou encore combien de fois celui-ci est sorti de chez lui au cours de la semaine », détaille Manuel.
Une start-up reconnue par la communauté
Après avoir fait ses armes au sein de LAUNCH, l’accélérateur de l’Université de Berkeley, la start-up de Manuel est parvenue à lancer un projet pilote avec le Marin Villages (dans le comté de Marin) qui se trouve au nord du Golden Gate Bridge. Au sein de ce village, plusieurs centaines de seniors s’entraident via la plateforme Helpful Village à laquelle ils accèdent depuis leur ordinateur, tablette et téléphone portable.
Aujourd’hui, Helpful Village a été mise en place par plusieurs villages du mouvement. Étant donné la rapidité avec laquelle émergent ces communautés, la start-up semble avoir un bel avenir devant elle ! Elle a d’ailleurs été identifiée comme une des 19 start-ups les plus prometteuses par le réseau de l’Université de Californie, qui comprend notamment l’Université de Berkeley, de San Francisco, Santa Barbara et Los Angeles.
Le mouvement des villages soutenu par Helpful Village vient encourager le développement de communautés de seniors basées sur l’entraide. Mais quelle est la place de l’intergénérationnel dans ces communautés ? En 2014, un réseau d’instituts d’apprentissage de langues étrangères au Brésil, CNA, signait un partenariat avec une maison de retraite de Chicago, Windsor Park Retirement Community, pour permettre aux résidents de transmettre leur connaissance de la langue anglaise à de jeunes élèves brésiliens par le biais d’une conversation vidéo. On pourrait imaginer ce même type de partenariats s’étendre dans les villages du mouvement. Comme le souligne Manuel, « Les villages de Californie lancent peu à peu des initiatives qui réunissent les plus jeunes et les moins jeunes ensemble. Cependant, aujourd’hui, les seniors ne veulent pas qu’on leur dicte leur mode de vie. Ils veulent avoir le contrôle sur la manière dont ils vieillissent. Le rôle d’Helpful Village est de leur fournir tous les outils pour que cela soit possible, et non pas d’imposer un modèle unique ! Je crois beaucoup dans le pouvoir des relations intergénérationnelles et si les Villages poussent des initiatives en ce sens, nous serons là pour favoriser leur développement par le biais de notre interface », conclut Manuel.
Pauline Canteneur,
Analyste de L’Atelier BNP Paribas à San Francisco / @atelier_us