En France, 20 % des seniors atteints de la maladie d’Alzheimer fuguent chaque année (Fondation recherche Alzheimer) et ce chiffre risque d’augmenter significativement lors de la prochaine décennie. Selon l’INSEE, en raison de l’allongement continu de l’espérance de vie et du vieillissement de la population, nous compterons 20 millions de personnes âgées de plus de 60 ans dans seulement 10 ans, contre 15 millions aujourd’hui.
Quels mécanismes conduisent les fugueurs hors des sentiers battus ? Quelles sont les conséquences pour ces personnes vulnérables, pour leurs proches et pour les structures d’accueil ?
Explications d’un phénomène complexe et tabou, qui inquiète.
Les fugues restent aujourd’hui un sujet sensible : elles renvoient un sentiment d’impuissance pour les familles et pour les équipes d’accompagnement, compte-tenu de leur forme imprévisible, de la difficulté à les prendre en charge et de leur issue parfois fatale. Toutefois, il existe des moyens pour anticiper et prévenir les fugues et pour y répondre de manière pragmatique lorsque celles-ci deviennent inéluctables.
Pourquoi les personnes âgées fuguent-elles?
Les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées peuvent présenter un risque de fugue à différents stades de leur pathologie.
On distingue ainsi plusieurs facteurs de risques :
• Les causes inhérentes à la maladie : ce sont des symptômes liés à l’affection tels que la perte de la mémoire, l’errance (avec ou sans but), la déambulation, la perte des repères, les troubles du comportement, l’anxiété…
Lorsqu’une personne souffrant de ces pathologies fugue, il n’y a pas de réelles intentionnalités. Elle vient pallier un besoin de repères, un désir d’autonomie, une recherche d’un lieu familier…
• Les causes liées aux moyens humains et matériel : cela concerne le manque de personnel ou de dispositif adapté dans certains EHPAD ou maisons de retraite pour assurer les missions de surveillance nécessaires à l’accompagnement des personnes âgées les plus vulnérables.
• Les causes liées au dilemme liberté /sécurité : il s’agit ici de la difficulté à trouver un équilibre entre la liberté d’aller et venir, protégée par la Constitution française et les conventions internationales, et l’obligation contractuelle de sécurité de moyens des établissements d’hébergement.
En effet, la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (dite « ASV ») a ajouté un nouveau droit fondamental que les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) se doivent d’assurer aux personnes qu’elles accompagnent : la liberté d’aller et venir.
Les fugues en EHPAD et Résidences Seniors ont un impact sur l’ensemble des acteurs
Si les fugues ont des conséquences directes pour les personnes âgées concernées, celles-ci ont des retentissements également pour leurs familles, leurs proches et les équipes des résidences seniors et des EHPAD.
Ces conséquences sont de diverses natures :
• Les conséquences physiques et psychologiques :
Si le risque est réel, il est aujourd’hui assez rare qu’une fugue aboutisse à un décès. Cependant, les séquelles physiques sont fréquentes et leur gravité varie en fonction du temps resté dehors, des conditions météorologiques, du parcours réalisé, de la durée de marche effectuée… Des blessures physiques peuvent également être observées sur des tiers : en 2014, un patient qui souffrait de la maladie d’Alzheimer avait fugué et pris sa voiture avant de s’engager à contresens sur l’autoroute et de provoquer un accident mortel.
Le fugueur vit également un stress intense pendant sa fugue. Son degré varie d’un individu à l’autre mais elle peut majorer l’angoisse de ces personnes déjà vulnérables.
Ces moments d’anxiété sont par ailleurs vécus de manière très forte par les soignants et les aidants présents et mobilisés pendant la fugue, et amplifiés par le sentiment de culpabilité qui en découle.
• Les conséquences institutionnelles et juridiques :
Les conséquences institutionnelles dépendent bien souvent de l’issue de la fugue. Elles peuvent s’illustrer à plusieurs degrés, de la détérioration de l’image de l’établissement jusqu’à sa réorganisation profonde.
Concernant le cadre juridique, les différentes instances, institutionnelles et juridiques, vont chercher à comprendre si les bonnes pratiques ont été respectées. Tous les acteurs sont impliqués : auxiliaires de vie, aides-soignants, infirmiers, médecins, direction de l’établissement. Ils doivent ainsi justifier de la qualité de la prise en charge. Si des manquements sont identifiés (admission, surveillance, découverte et mesures prises) les responsabilités civile et pénale sont engagées individuellement.
Toutes ces conséquences peuvent avoir des répercussions financières. Les procès, par exemple, sont chronophages et requièrent beaucoup d’énergie pour leur résolution. Souvent engagés par les familles du « fugueur », ils se font de moins en moins rares et représentent un coût non négligeable pour les établissements concernés. En 2002, un EHPAD avait été condamné à verser 52 000 euros de dommages et intérêts à la famille d’un patient décédé pendant sa fugue pour non-respect de l’obligation de sécurité de moyens de l’organisme gestionnaire (blog d’Olivier Poinsot : Droit des institutions sociales et medico-sociales).
L’impact psychologique subi par les professionnels de l’EHPAD peut également détériorer l’ambiance dans l’équipe et engendrer un turn-over du personnel, des arrêts maladies…. D’autre part, le temps dédié à l’identification des causes, à la réorganisation du service ou à la sécurisation des locaux a également un impact financier.
Enfin, les recherches engagées lors d’une fugue mobilisent d’énormes moyens humains : recours à un escadron de gendarmerie (avec appui d’un hélicoptère, d’un drone, d’une caméra thermique…), présence des pompiers, mobilisation des personnels de l’établissement. Le coût moyen des recherches pour une fugue (quelle que soit son issue) est estimé à 10 000 euros – Étude SFGG sur les fugues menée par la SDIS 13 dans les Bouches-du-Rhône-.
Quelles solutions pour prévenir les fugues et errances des personnes âgées ?
S’il est parfois difficile d’anticiper les fugues, des solutions existent pour prévenir et gérer les situations extrêmes chez les seniors et pour former et accompagner les équipes qui les entourent.
Le jury de la conférence de consensus de l’HAS a déterminé que : « la réponse à la déambulation et au risque de sortie inopinée doit être de préférence : humaine (maintien du contact à tout prix avec la personne, accompagner son déplacement, trouver un sens à son déplacement), organisationnelle (présence humaine à la porte de l’établissement susceptible de réagir rapidement et de manière adaptée) et architecturale (recherche de la meilleure réponse en matière de qualité des espaces, de qualité de travail et d’accueil : maîtrise des déplacements des personnes âgées désorientées, des visiteurs, des personnes accueillies et des professionnels ; limitation des accès à une zone contrôlée), ce qui suppose un encadrement et une formation suffisante des professionnels au contact des personnes vulnérables. » – Ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille – Conférence de consensus Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité 24 et 25 novembre 2004 Paris
La formation et l’information sont des étapes importantes dans la prévention des situations de fugue. Il est nécessaire de connaître les symptômes liés aux pathologies neurodégénératives et d’identifier les sujets à risque ainsi que leur niveau de menace de passage à l’acte. Une réflexion collégiale sur l’organisation des soins autour de ces personnes à risque doit ainsi être menée. Parallèlement des informations sur les responsabilités juridiques doivent être communiquées aux aidants.
L’environnement doit par ailleurs être sécurisé dans le respect des libertés d’aller et venir, tout en apportant des approches pluridisciplinaires adaptées, sur le plan psychologique, psychomoteur, médical, social…
L’installation de systèmes de détection de fugue
Selon la Société Française de Gériatrie et Gérontologie « Les mesures de sécurité existent bel et bien : 85% des EHPAD ont mis en place un moyen limitant la liberté d’aller et venir : digicodes (65% des cas), contention ponctuelle (70%), chambres fermées (2%), contention systématique (4%) ».
Ces mesures sécuritaires réduisent certes le nombre de fugues mais ne les empêchent pas. Critiquées et remises en causes régulièrement, elles entravent le droit fondamental sur la liberté d’aller et venir.
Toutefois, avec l’avancée des technologies de cette dernière décennie, des systèmes innovants de détection des fugues comme Dona Care se mettent progressivement en place dans les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes.
Montres dotées de GPS, bracelets « anti-fugue » ou encore puces électroniques, ces solutions permettent un déclenchement précoce de l’alerte en cas de fugue, une meilleure organisation des recherches (pour les systèmes intégrants un GPS extérieur), un compromis sécurité/liberté intéressant et une diminution de la charge psychologique des équipes d’accompagnement. Ce sont par ailleurs des dispositifs plus largement acceptés par les familles des personnes âgées.
Le coût de certains de ces systèmes, lorsqu’ils ne nécessitent pas de travaux onéreux d’installation, sont amortis dès les premières fugues.
Dorian LAMBERT