Pascal Champvert est directeur de maisons de retraite et services d’aide à domicile. Il a également créé l’association des directeurs au service des personnes âgées, qui milite pour sensibiliser la société à la nécessaire solidarité envers les plus fragiles. Dans « Prendre soin de nos aînés, c’est déjà prendre soin de nous », il explique en quoi notre société est selon lui coupée de ses vieux.
Avec ce livre, qu’avez-vous voulu nous dire sur la vision du vieillissement dans notre société ?
La société française est malade de sa coupure avec le vieillissement et avec le grand âge. L’immense majorité des Français se disent : « on n’est pas vieux. Nous sommes tous jeunes ». Y compris les 12 millions de retraités disent qu’ils sont jeunes ou ont su rester jeunes. Les seuls dont on ne puisse pas dire qu’ils sont jeunes ce sont les plus handicapés.
Le drame de la société c’est qu’on accole tellement le terme de vieux à des éléments dévalorisant à tous égards qu’on ne l’applique qu’aux gens qui ont des vrais problèmes de santé.
On ne veut tellement pas voir le vieillissement, qu’on rejette les vieux. Et pourtant, être vieux, c’est notre avenir.
Vous dénoncez l’âgisme de notre société. Que voulez-vous dire ?
L’âgisme, c’est la discrimination par l’âge. Alors qu’on repère bien les autres discriminations (sexisme, racisme, homophobie,…), on ne repère pas l’âgisme et c’est ce qui rend difficile de le combattre. Parce que toute la société est âgiste et ne s’en rend pas compte.
En conséquence, les crédits accordés aux personnes âgées sont dérisoires. Tous les gouvernements vous diront qu’ils ont un peu amélioré les choses. C’est vrai, mais on partait d’un tel retard, que l’amélioration n’empêche pas qu’on est toujours en retard. Et régulièrement les crédits qui devraient être pour les personnes âgées ne leur sont pas alloués.
Comment expliquez-vous cet âgisme ?
Le problème c’est qu’on peut tous devenir vieux, et que cela fait doublement peur.
Nous refusons de voir le vieux qui est en nous, ce qui fait que quand nous sommes regroupés en société nous refusons de nous occuper des problèmes des vieux.
Pourtant, à être anti-âge, on perd à tous les coups. Je préfère être pro-âge. Si je suis anti-vieillissement, dans 10 ans j’aurai quand même 10 ans de plus qu’aujourd’hui. Donc il vaut mieux être pro-âge et réfléchir à comment intégrer cette logique du vieillissement qui est incontournable, que se mentir et se retrouver exclu et malheureux.
Qu’y a-t-il de positif à être vieux ?
Du point de vue du physique, le vieillissement est évidemment une diminution. En revanche, traditionnellement la pensée humaine dit que si le physique va se dégrader, il sera donné à la personne, si elle travaille sur elle, de mieux se comprendre elle-même et de mieux comprendre le monde et la vie humaine. La société occidentale, en ne voyant que le physique, n’aide plus les individus à vieillir et les gens se sentent perdus. Je pense au contraire qu’ on peut être vieux, et mieux.
Faut-il réhabiliter le mot « vieux » ?
Je pense qu’il faut redonner un marketing au mot vieux. Mais il faut y aller doucement. C’est pour ça que le mot n’est pas dans le titre de mon livre. Si on dit comme ça au grand public il faut s’occuper des vieux, il y a des gens qui trouvent que c’est péjoratif. Ils pensent que si vous dites qu’ils sont vieux, c’est que vous les méprisez. Pour beaucoup de gens le mot vieux est associé à de la dévalorisation. Sauf pour les vieux meubles ou les vieux vins.
Je ne veux pas brutaliser les gens. Pour ces raisons, je ne l’utilise pas toujours.
Mais je pense aussi qu’il faut le réhabiliter, parce qu’il y a aussi du positif dans ce qui est vieux. C’est toute l’expérience que nous avons engrangée, tout ce que nous avons parcouru. J’ai moi-même énormément appris auprès des vieux.
Que faire pour réhabiliter les vieux ?
Je crois au mouvement collectif. On peut, par le travail en commun, par l’expression, la relation avec les médias, bouger la société. Par ailleurs je pense que la société ne change que si l’individu fait un travail sur lui-même. Si on change notre regard sur la société, on la change. Il faut se persuader soi-même qu’être vieux c’est être mieux et accepter le vieux qui est en nous.
Vous développez l’intergénérationnel. Est-ce que cela va dans ce sens ?
Le projet de l’intergénérationnel c’est au départ apporter de la jeunesse dans un groupe où il y a beaucoup de vieux. Mais on a vu que les vieux apportent aussi aux jeunes. Les enfants se concentrent bien plus longtemps sur une activité quand ils sont avec des vieux parce que les vieux sont lents. Ils apprennent la lenteur aux jeunes. L’avantage, c’est que les enfants et les jeunes adolescents ne sont pas encore pollués par les peurs des adultes. Ils ont une image positive du vieillissement. Pour eux, cela signifie être grand. Vieillir c’est grandir. Spirituellement, psychiquement, affectivement, intellectuellement.
Comment et quand pensez-vous que les choses vont changer ?
Je pense que dans une société ouverte et démocratique comme la société française, un problème majeur ne peut pas rester ignoré ad vitam aeternam. Mais je ne sais pas qui sera le catalyseur de ce mouvement ni quand il y aura une masse critique de gens qui dira que la situation n’est pas acceptable.
Propos recueillis par Sandrine Goldschmidt