Depuis 2011, l’association « Parrainer la croissance » apporte sa vision intergénérationnelle novatrice au monde de l’entreprise. Son président, Denis Jacquet, ancien d’HEC au dynamisme convaincant, nous explique tout.
Génération Care : Comment un entrepreneur* en vient à s’intéresser au sort des seniors dans la société ?
Denis Jacquet : Après plusieurs années à l’étranger, je suis revenu en France en 2010. Je ne connaissais plus personne et le pays m’est apparu sous un autre jour. Que pouvais-je faire ? J’avais soif de différences. J’ai repensé à l’international où j’avais vu très peu d’entrepreneurs de PME comme moi, à part les expatriés. Et si on leur donnait un coup de main pour se développer ? Peu à peu, j’ai lancé un groupe informel de personnes qui se réunissent pour réfléchir. J’anime depuis des soirées où des entrepreneurs mais aussi des écrivains, des artistes, des sportifs viennent parler à d’autres entrepreneurs. Leur racine commune est la poursuite d’un rêve malgré l’effort. Ce qui m’a intéressé, c’est que des gens qui ont réussi, plus aguerris, avec de l’expérience soutiennent les plus jeunes. « Parrainer » vient de là, avec une réflexion : comment contribuer au changement de l’image de l’entrepreneur et de l’entreprise ? Or c’est par une histoire humaine que l’on transforme une vision. Nous sommes tous individualistes et égoïstes. On ne s’intéresse à quelque chose que si cela nous impacte. Je me suis souvenu qu’au Maroc j’avais commencé à faire venir des quinquas d’HEC sans emploi pour aider des entreprises. J’ai observé le taux de chômage des plus de 55 ans, le taux de retour à l’emploi épouvantable et la formation qui s’arrête à 45 ans. Dans les économies européennes, et principalement en France, tout est fait pour que les seniors partent. Avec un fond de culture marxiste qui veut que le travail tue, aliène, asservisse. Mais les cadres qui arrêtent leur travail décompensent dans les six premiers mois par une maladie. Ce n’est pas le travail qui tue, c’est son arrêt.
G. C. : Henri Salvador chantait « Le travail c’est la santé »…
D. J. : La réalité, c’est qu’ils n’ont pas envie d’arrêter leur activité. C’est sans appel. La durée de la vie s’est allongée. Les gens sont en forme, font du sport. Ils ont envie d’être utiles, reconnus, valorisés. On les laisse moisir ? L’image des seniors sera modifiée quand on aura cassé le stéréotype de l’âge.
G. C. : On travaillera sans limite d’âge ?
D. J. : Insufflons une espèce de liberté. Pourquoi empêcher quelqu’un de 80 ans de travailler si c’est son choix ?
G. C. : Associer ces deux mots « Seniors » et « croissance », c’est un pari audacieux !
D. J. : Un tiers de la population aura plus de 60 ans en 2030. Ce sujet de société nous concerne tous. Si on montre à un Français sur trois l’intérêt qu’il a de soutenir les PME car elles vont lui offrir un rebond professionnel, on parle déjà à un Français sur trois. Si le bénéficiaire de cet intergénérationnel, c’est le jeune qui veut monter sa boîte mais n’a pas les moyens de financer une compétence qui lui permettrait de réussir, alors on s’adresse à un deuxième Français sur trois. Et si ça fonctionne, on touche ensuite les grands groupes institutionnels, les politiques, etc. Et on crée du lien.
G. C. : Comment avez-vous structuré votre action ?
D. J. : Nous avons loué des locaux, choisi des « start-up » qui ont besoin de compétences et pris des seniors qui les possèdent. Ils sont détachés par de grands groupes tels que Total, Sanofi, Alcatel, qui continuent à les rémunérer. On tente un mariage. Le feeling est important. Nous les accompagnons et mesurons les résultats sur la durée. Puis vient le stade du détachement. Il y a du chiffre d’affaires ? Votre entreprise a grossi ? Comment pouvez-vous quitter le giron de « Parrainer la croissance » et de votre groupe, et vivre votre vie ensemble d’une façon ou d’une autre ? J’ai vu émerger la forme que prendront les emplois demain. Les notions de contrat vont exploser. Dans 10 ans une tranche de la population sera multi-employeurs. Les seniors en feront partie. Certains facturent, ont un portage salarial, d’autres ont investi dans la boîte ou sont mi actionnaires-mi salariés… Plusieurs pratiquent un temps partagé. Et contribuer à la réussite d’un autre que soi est exceptionnel.
G. C. : Comment la jeune génération les accueille-t-elle ?
D. J. : Les boîtes digitales se posent parfois la question mais la plupart est très ouverte. Les jeunes créateurs se rendent compte, très vite, de la complexité du droit français, du besoin d’avoir un bon DRH ou un excellent contrôleur de gestion sans avoir les moyens réels de le payer. Des qualités qu’un senior aura développées avec, en prime, un réseau…
G. C. : L’intergénérationnel est-il devenu la clef du bien-vivre ensemble en entreprise ?
D. J. : Totalement. Si cette expérience se passe bien, elle peut relancer une dynamique et donner aux gens le sentiment d’avoir un destin commun. Nous avons 18 mois de recul avec une quarantaine d’entreprises et une quarantaine de séniors et nous allons passer en phase industrielle et en chercher une centaine.
Marina Lemaire.
*Denis Jacquet a créé plusieurs sociétés d’e-Learning à la fin des années 90.
Parrainer la croissance, c’est 3600 adhérents dont 38% de femmes. L’association développe son action intergénérationnelle dans plusieurs villes de France.