Qu’il s’agisse d’éducation, d’emploi, de culture ou de mode… l’époque est à la nostalgie. Mais pourquoi ce sentiment général qu’il faisait mieux vivre il y a un demi-siècle ? « C’était mieux avant » : retour sur une illusion collective.
« De mon temps, il y avait encore des saisons», « A mon époque, quand on commençait à chercher un travail le vendredi, on était en poste dès le lundi », « Les enfants de ma génération étaient quand même mieux éduqués »… Des terrasses de cafés aux repas de familles, des écrans télévisés aux affiches publicitaires, il flotte dans l’air un doux parfum de nostalgie. Et si les jeunes gens ont toujours entendu leurs aînés répéter inlassablement « C’était mieux avant », l’amour du passé semble n’avoir jamais été aussi présent. Il suffit pour s’en convaincre de regarder du côté des campagnes marketing : Citroën qui écoule sa DS3 en surfant sur l’image de Marylin Monroe, Eau sauvage qui se contente d’exhumer une vieille photo d’Alain Delon pour remettre sa fragrance au goût du jour (mais sans la cigarette !), la série Mad Men, dont l’action se déroule dans le New York des sixties, devenue culte, ou encore des objets, vêtements et meubles estampillés « vintages » qui font fureur auprès des consommateurs… Et même sur la scène politique, le passé redevient « tendance », avec des responsables de tous bords qui proposent de rétablir le port de l’uniforme à l’école et qui pleurent la « belle époque » de de Gaulle ou Mitterrand, ou de jeunes hipsters qui font de Jacques Chirac l’un de leurs emblèmes. Il se passe quelque chose !
Le passé pour refuge
« Depuis les années 90, on vit une révolution incroyable entre le numérique et la mondialisation. L’avenir n’a jamais fait aussi peur et tout ça crée un mouvement de recherche vers le passé, une recherche de repères » expliquent Grégoire Evequoz et Patrick Nussbaum dans leur livre « C’était mieux avant, ou le syndrome du rétroviseur » (Favre – 2014). Largués par Internet, déstabilisés par la disparition des frontières, nombre de seniors succombent à la tentation du passé, ce tendre et rassurant cocon. D’autant plus que l’être humain semble « programmé » pour chérir ce qui lui est familier. C’est ce qu’on appelle l’effet de la simple « exposition de Zajonc ». Pour résumer cette savante thèse de sciences sociales édictée par le psychologue américain Robert Zajonc en 1968, plus un individu est exposé de façon répétée à un lieu, un objet ou une autre personne, plus il en aura une image positive. Autant dire que le XXIème siècle et ses bouleversements sociaux et technologiques se situent aux antipodes de ce besoin de familiarité.
Les mémoires courtes
À la multitude d’angoisses que peut générer le siècle, vient se greffer un syndrome commun à toutes les personnes âgées, quelles que soient les époques : l’idéalisation du passé. La psychologue américaine Laura Carstensen a en effet démontré dans sa « théorie de la sélectivité socio-émotionnelle » que tout individu qui prend conscience qu’il lui reste un temps de vie limité, choisit malgré lui de centrer son attention sur des souvenirs et des expériences positives. Autrement dit, plus on vieillit et plus on enjolive son passé. Les seniors ont ainsi la fâcheuse tendance à oublier les aspects les plus sombres de leur histoire et ce par quoi a du passer leur génération : « Quand je pense à ma jeunesse, quand j’avais 10 ou 15 ans, c’était bien plus difficile, il fallait choisir entre Hitler ou Staline – rappelait sur Europe 1 Jean d’Ormesson lors d’une interview donnée pour son 90ème anniversaire. Il y a une formule que je récuse tout à fait : ce n’était pas mieux avant ».
Et si c’était mieux maintenant ?
Il faut bien avouer que les conditions de vie n’ont jamais été aussi favorables qu’aujourd’hui. Dans le domaine médical d’abord, des avancées extraordinaires ont permis d’allonger l’espérance de vie et d’offrir aux seniors un confort physique suffisant pour profiter de leurs vieilles années. Autre exemple avec les transports : le TGV, les compagnies aériennes low-cost, l’ouverture des frontières… Bienvenue à l’ère du voyage pour tous. Et puis, bien sûr, il y a Internet, ce miracle de la modernité qui permet à chacun d’accéder à tout, tout le temps. C’est le fameux « âge de l’accès », décrit dès 2000 par Jeremy Rifkin.
À ces grandes avancées s’ajoutent les petits « riens » qui facilitent le quotidien : les plats préparés, les liseuses, la tente Quechua qui se monte en deux secondes, les meubles IKEA, la climatisation, les clés USB, les machines expresso…
Alors oui, jadis il n’y avait pas le sida. La génération d’avant n’avait pas de problèmes de logements, pas de réchauffement climatique et pas de chômage ; les jeunes passaient plus de temps à se parler qu’à taper sur leurs portables, John Lennon était encore en vie et les musées n’étaient pas pollués par les perches à selfies. Mais malgré le charme certain du temps d’avant, la vie, c’est quand même beaucoup mieux maintenant.
Usbek & Rica