Le biogérontologue, Aubrey de Grey , la cinquantaine passée, a une obsession depuis plus de vingt ans : lutter contre le vieillissement.
« Il est évident pour moi que le problème le plus important du monde est de garder les personnes en bonne santé le plus longtemps possible et je ne vois pas comment on pourrait argumenter dans le sens contraire. » Aubrey de Grey ne doute pas une seconde du bien-fondé de sa mission : la lutte contre le vieillissement. À l’événement Hello Tomorrow Future of Healthcare à San Francisco, c’est devant une salle attentive que le gérontologue biomédical au look décontracté explique sa théorie. Sa longue barbe cache la moitié de son visage et certains de ses mots s’y perdent, mais cela ne l’empêche pas de faire passer son message clairement. Dans les grandes lignes, tout paraît simple : « Le vieillissement d’un organisme vivant comme le corps humain est comparable à celui d’une voiture ou d’une autre machine. Ce sont les dégâts qui résultent de l’usure et que la machine est incapable de réparer automatiquement, comme la rouille dans un moteur, qui au bout d’une certaine quantité provoquent la mort de la machine ». De là découle une solution, tout aussi évidente en apparence : « Si on peut réparer l’essentiel des dégâts régulièrement, même si le métabolisme continue à en produire, cela n’atteindra jamais une quantité critique ».
Le docteur de Grey répertorie sept types de dégâts qui sont tout autant de causes du vieillissement. Parmi eux figurent les « mutations nucléaires et épigénétiques cancérigènes », les « mutations mitochondriales » ou encore « les pertes de cellules » à l’origine de maladies comme Parkinson. Il suffirait de résoudre chacun de ces axes ou d’empêcher ces phénomènes de se produire pour combattre la dégradation de l’organisme. Les solutions proposées par la fondation de recherche SENS, sur les sciences consacrées à l’arrêt du vieillissement, sont multiples (voir leur site). Elles passent par des versions modernes de thérapie cellulaire (transplantation de cellules souches) ou encore des actions audacieuses pour agir sur la taille des télomères, ces extrémités des chromosomes qui les protègent.
Si des remèdes existent, pourquoi le problème n’est-il pas encore résolu ? Pourquoi le fait qu’il soit possible de vaincre la mort n’est-il pas communément accepté ? Avec beaucoup de pédagogie et un brin de provocation (ou l’inverse), Aubrey de Grey répond à cette question. « Vous avez tous peur que ce que je raconte soit vrai mais que cela ne puisse pas être mis en oeuvre à temps pour vous sauver. Et vous vous êtes probablement déjà faits à l’idée de vieillir, vous êtes arrivés à la conclusion que cette terrible chose va vous arriver et vous continuez votre vie en essayant d’oublier et de tirer le maximum de votre misérable courte existence » affirme le scientifique britannique avec une voix assurée devant un public mi-médusé, mi-amusé.
« Ce n’est pas exactement ce que je pense », se reprend-il en souriant, « je crois que toute cette soi-disant «ambiguïté éthique» et ces «préoccupations sociologiques » que les gens mentionnent lorsqu’ils pensent aux conséquences d’un vieillissement contrôlé par la médecine, sont simplement psychologiques. C’est le vrai obstacle et je voudrais que chacun soit plus courageux. Heureusement je suis dans la région de la baie de San Francisco où cette qualité est répandue. » Si le gérontologue de 53 ans flatte son auditoire, c’est également parce qu’il est désormais directeur scientifique de la fondation de recherche SENS, basée à Mountain View, qu’il a co-fondé il y a quelques années. Aubrey de Grey doit récolter des fonds et donc convaincre les sceptiques.
Probablement conscient de son air un peu loufoque, le scientifique tient quand même à préciser que ses travaux ne sont ni « fous », ni « de la science-fiction ». « Des dirigeants d’envergure internationale soutiennent cette approche », indique-t-il, citant les noms de millionnaires bien en vue de la Silicon Valley ou connus pour leur quête de la jeunesse éternelle comme le cofondateur de Paypal aujourd’hui à la tête de Palantir, Peter Thiel ou encore l’entrepreneur Jason Hope. Preuve s’il en faut que la lutte contre le vieillissement suscite de l’intérêt. Reste à voir si la solution viendra des nouvelles technologies… et/ou interviendra du vivant d’Aubrey de Grey.
Aubrey de Grey est biogérontologue, il étudie les processus biologiques de vieillissement. D’abord diplômé en sciences-informatiques de l’Université de Cambridge au Royaume-Uni, il a obtenu après plusieurs années de recherche un doctorat en biologie de cette même université. Il est toujours installé à Cambridge bien qu’une partie de ses activités se trouvent aux Etats-Unis. Après avoir co-fondé la Methuselah Foundation en 2003, une association à but non lucratif qui a vocation à prolonger la vie, il a créé en 2009, à Moutain View (Californie), la fondation de recherches SENS dont l’objectif est également de lutter contre le vieillissement. Il en est aujourd’hui le directeur scientifique et est aussi rédacteur en chef de la revue Rejuvenation Research.