Muriel Boulmier, chef d’entreprise et adjointe au maire d’Agen, est l’auteure d’un pamphlet « Arrêtez de nous prendre pour des vieux ». Un coup de gueule dont l’objectif principal est de tordre le cou aux clichés sur les vieux, cette nouvelle génération qui a 30 ans à vivre et représentera bientôt 1/3 de la population.
Vous luttez dans votre livre contre les clichés accrochés à l’âge, qui selon vous paralysent toute possibilité pour notre société de s’adapter correctement au vieillissement. Qu’est-ce qui vous a incité à pousser ce « coup de gueule » et pourquoi cette forme ?
Muriel Boulmier : Il m’a paru important de tenter d’alerter, à tout le moins de lancer un débat, sur la perception du vieillissement qui est faussée et pourtant largement partagée. Lors des auditions que j’ai menées pour la rédaction de mes rapports, j’ai été surprise que la confusion vieillesse/dépendance soit à ce point entretenue, plus ou moins consciemment d’ailleurs. Cette tendance s’est confirmée lors de discussions plus informelles ; essayez, par exemple, de poser la question : qu’évoque pour vous le vieillissement ? Dans l’immense majorité des cas, spontanément, l’interlocuteur répond en abordant plutôt le sujet de la vieillesse, de la dépendance, d’Alzheimer et des maisons de retraite. Alors même que le vieillissement représente une période de vie extrêmement longue, de 60 à 85 ans. C’est à cet âge seulement que se profile la vieillesse et ses aléas. J’ai choisi la forme d’un livre, plutôt léger dans le style, notamment pour insister sur le fait que ce sujet n’est pas prédestiné à la tristesse et au repli sur soi.
Vous craignez que la Silver Economie soit un « pétard mouillé’. Pour vous, par quoi passe une « bonne adaptation de la société au vieillissement » : la domotique, le lien social, le Care ?
Muriel Boulmier : Pour paraphraser une formule célèbre, disons que vieillir, c’est prévoir. Prévoir, anticiper, pour retarder le plus longtemps possible les petits tracas possibles de la vieillesse. Il faut garder à l’esprit que le temps long du vieillissement repousse l’âge de la vieillesse. En revanche, les petites imprudences, parce que l’âge dans l’action, ça s’oublie, peuvent avoir des inconvénients comme les chutes. La Silver Economie est une sorte de rêve, et « si tous les vieux du monde veulent bien… », pourquoi pas ? Cependant, attention à ne pas se contenter des projections vertueuses d’un marché fondé seulement sur le nombre de personnes âgées et donc de cibles potentielles. La Silver Economie peut être une alliée incontestable pour la santé. Cependant, le temps des expérimentations est bien révolu : plus de 15 ans ! Le temps de l’évaluation de l’efficacité directe pour les personnes âgées elles-mêmes ou pour les proches professionnels ou familiaux est indispensable. Enfin, avant de promouvoir Kompaï, le robot compagnon, je suggère le soutien au développement d’outils plus simples comme la téléassistance. Bien que connue, elle bénéficie à seulement 10 % d’utilisateurs en France contre 80% en Suède. Puis, les personnes âgées ne surconsomment pas tant que cela, mais en revanche, elles consomment utile et affectif, c’est une distinction à intégrer pour éviter une déconvenue à ce secteur qui promet depuis longtemps déjà d’être florissant. Enfin, je voudrais souligner le danger que représente l’isolement des personnes âgées, et je m’interroge sur le travers désocialisant du tout automatique. La présence ne se remplace pas aisément. Pensons aussi à l’aménagement des espaces publics : les trottoirs, les rues pavées, les escalators, les parcs, le métro…L’avenir de 30% de la population mérite qu’on s’y arrête un peu !
Vous parlez d’un « défi du vieillissement des femmes » et d’un nouveau partage des droits à la retraite à inventer.
Muriel Boulmier : Oui, il me paraît important de considérer le vieillissement en tenant compte de l’évolution des mœurs, des vies de famille. A 60 ans, nous avons encore de longues années à vivre et chacun se sent plus libre qu’avant d’envisager une nouvelle vie. Les couples se séparent même tard. Et les femmes ne refont pas leur vie aussi facilement que les hommes. Donc, quand en plus elles ont interrompu une partie de leur activité pour élever les enfants, elles se retrouvent bien plus pauvres, lorsqu’elles sont seules et retraitées, que les hommes. Je propose que les droits à la retraite puissent se partager entre époux ou compagnons.
Pour tordre le cou à ces idées reçues, il faut changer de regard. Mais comment faire pour que les médias adoptent ce nouveau « point de vue » ?
Muriel Boulmier : Ce n’est pas tant le regard que le vocabulaire qu’il faudrait changer. Il faut parvenir à dépasser la confusion, voire la synonymie qui s’est créée entre vieillesse et dépendance au détriment du mot vieillissement. Lequel ne renvoie pas la même image et ne concerne pas le même public. Il faudrait également que les medias au sens très large, qui incluent les publicitaires par exemple, cessent de nourrir le culte du jeunisme. Lequel reste d’une part absurde, d’autre part néfaste : absurde parce que personne ne se reconnaît dans l’image de ces mannequins quinquagénaires qui tournent les spots publicitaires pour les monte-escaliers ; néfaste parce qu’opposer jeunes et vieux entretient un conflit générationnel dont aucun ne veut.
Propos recueillis par Sandrine Goldschmidt
Arrêtez de nous prendre pour des vieux ! : Coup de gueule contre dix idées reçues sur le vieillissement – Balland – Novembre 2013