Sur la Côte ouest des Etats-Unis, une flopée de milliardaires tente de trouver la clé de l’immortalité. Ce courant de pensée, qu’on appelle le transhumanisme, a également ses représentants en France. Parmi eux, Marc Roux, co-fondateur de l’Association Française de Transhumanisme, se distingue toutefois de ses camarades d’outre-Atlantique en prônant le « technoprogressisme ». Au programme, toujours la volonté d’allonger la durée de nos existences jusqu’à l’infini, mais à une condition : que le progrès technique soit accompagné d’un progrès humain. Entretien.
Génération Care : Commençons par une question simple : pour vous, qu’est-ce que le transhumanisme ?
Marc Roux : La définition classique du transhumanisme, c’est l’idée qu’il est possible d’améliorer la condition biologique de l’humain par la technique. Mais il y a plusieurs principes à remettre en perspective. Un premier constat : l’homme a plusieurs centaines de milliers d’années derrière lui et il a subi des évolutions constantes. Ensuite, on remarque que l’être humain a évolué en parallèle et en adéquation avec sa technique : nous avons perdu notre pilosité car les vêtements ont remplacé notre pelage, notre mâchoire s’est affinée, les lunettes ont permis aux myopes d’y voir clair, etc. La technique est omniprésente dans notre évolution. Le troisième point, qui est sans doute le plus important, c’est pour moi la prise de conscience de notre pouvoir de changer les choses grâce à la technique. Cela date des trente dernières années : nous savons que nous sommes capables d’orienter notre évolution. Ce dernier principe est fondamental, car c’est lui qui explique que nous ayons eu besoin d’un nouveau terme pour définir cette transformation : le transhumanisme.
G.C. : On constate toutefois qu’il y a différentes manières de concevoir le transhumanisme : le plus visible et le plus médiatisé, celui défendu par les milliardaires de la Silicon Valley, est volontiers défini comme ultralibéral et individualiste. Qu’en pensez-vous ?
M. R. : Aux Etats-Unis, à la fin des années 1970, un certain nombre d’universitaires, de philosophes et d’artistes, ont commencé à « inventer » le transhumanisme. Il est important de préciser qu’ils ont réfléchi dans un contexte qu’on qualifie aujourd’hui de « libéral-libertaire », c’est à dire libéral sur les mœurs, mais surtout libéral d’un point de vue économique. Ce qui apparaît de cette pensée, c’est l’importance de la liberté individuelle, de pouvoir disposer de son corps, de le faire évoluer à sa façon. Max More (futurologue et philosophe américain, ndlr), par exemple, défend l’idée d’un optimisme infini dans lequel l’humain est capable de prouesses extraordinaires et d’une maîtrise quasi-complète de son environnement. Et, à terme, il pourrait renverser le principe d’entropie, selon lequel notre espèce est vouée à disparaître. Personnellement, je suis très éloigné de ces opinions.
G. C. : Qu’est-ce qui distingue votre conception du transhumanisme de la leur ?
M. R. : C’est leur quasi absence d’intérêt pour la chose sociale, et je pourrais même rajouter, pour la chose environnementale. Ce transhumanisme prétend notamment que la technologie va nous apporter rapidement une abondance totale, et que les problèmes d’énergie et de matières premières vont être réglés à court terme. Ils sont d’un optimisme infini et on considère qu’ils sont dans le scientisme au sens européen du terme : « Science will find a solution ». Il y a un filtre culturel, notamment français, qui nous empêche de voir les choses de la même manière. Nous prônons l’idée d’un transhumanisme démocratique qui s’oppose à celui des origines : le « technoprogressisme ». Il ne s’agit pas de se contenter d’un progrès technique en soi, mais il faut aller vers le progrès humain.
G. C. : Les technoprogressistes réfléchissent donc à un modèle social global où les technologies transhumanistes seraient accessibles pour tous ?
M. R. : Effectivement, les technoprogressistes font ce travail de projection sociale afin de savoir comment adapter nos sociétés à un allongement de la durée de vie en bonne santé. Même si pour beaucoup cela ressemble encore à de la science fiction, et qu’on est un peu esseulé dans ce cadre-là, on y réfléchit. Pour nous, il est clair qu’il y a différentes choses à repenser : notre rapport à l’environnement, notre rapport aux autres, la question sanitaire… Ce sont ces trois axes qui nous distinguent du transhumanisme libéral. Et nous rapprochent peut-être même plus de la pensée décroissante, même si les décroissants tomberaient sans doute des nues s’ils m’entendaient dire ça ! Malheureusement, quand les principaux acteurs du transhumanisme sont des mastodontes qui sont riches au-delà du milliard, ils occupent toute la scène et on aurait tendance à dire : « Le transhumanisme c’est ça ». C’est un réel problème, car cela nous amène à passer à côté de choses qui sont essentielles pour nous : il faut arriver à concevoir qu’un autre transhumanisme est possible. Je le dis à dessein, et je fais exprès de reprendre le slogan altermondialiste (« Un autre monde est possible », ndlr). Car il est tout à fait possible d’envisager un transhumanisme qui se préoccupe des questions de justice sociale.
Usbek & Rica