La vieillesse s’invente, le plaisir aussi. Lorsqu’on se retrouve physiquement et socialement isolé, il faut imaginer des parades quotidiennes pour empêcher la solitude de gagner du terrain. A l’Ecomusée du Perche, l’atelier d’écriture fait miracle. Dans une « chambre à soi » digne de Virginia Woolf, des femmes dont les deux tiers sont à la retraite se réunissent et écrivent. Venues d’ici et d’ailleurs, elles s’exposent et exposent leur travail dans la diversité littéraire et professionnelle. L’ex-ouvrière écrit coude à coude avec la prof de philo en retraite, l’avocate à côté de la secrétaire. La descendante de la comtesse de Ségur à côté de l’assistante maternelle. Au fil des années ce groupe littéraire a résonné hors des murs pour devenir « une troupe intergénérationnelle » qui revendique le désir de vivre et de vieillir autrement à la campagne.
Mais comment surmonter l’isolement, l’ennui, l’immobilisme, le gris de l’hiver, les ennuis qui, en milieu rural, grossissent comme des montgolfières ? C’est simple : il suffit de sortir de chez soi, de cette « maison-famille-foyer » où les femmes perdent plus leur âme qu’elles ne la sauvent pour s’inscrire à des ateliers comme un atelier d’écriture, et le miracle se produit. Car au-delà du travail littéraire, le groupe a, en coulisse et en bordure d’atelier, fait corps pour qu’une autre écriture surgisse : celle de l’énergie solidaire et solaire qui transcende le quotidien en hissant le mot PLAISIR à l’horizon.
Il suffit de plonger dans le chaudron de la création en atelier pour réaliser la richesse de l’altérité et du partage. Les barrières tombent, les masques aussi. Un mot à l’envers, un mot à l’endroit, on crée, on invente et ce partage émotionnel et esthétique donne aux relations des dimensions plus grandes et plus intenses que celle de l’amitié qui se tisse autour d’un barbecue ou d’un café.
Tout a commencé par Clémence. Elle est venue en jeans, cheveux coupés à la garçonne avec en bandoulière ses quatre-vingts balais. Elle a écrit d’un seul jet puis elle a lu à voix haute son texte. Et on a applaudi. Très vite, elle est devenue notre Marguerite Duras. Mais la troupe ne retient qu’une chose : Clémence vit seule en pleine campagne et n’a plus aucune famille. Alors on se mobilise, on l’initie à Internet, on lui téléphone tous les jours, on va la chercher quand le verglas sonne le glas. On lui offre le plus beau bouquet de fleurs pour son anniversaire. Sa vitalité réduit en poussière les préjugés sur l’âge. Avec l’écriture, elle donne aux plus jeunes l’envie de vieillir comme elle. C’est énorme ! C’est pyramidal.
A l’origine de ce mouvement de troupe, il y a Claire qui, après plusieurs décennies de secrétariat, a choisi au moment de la retraite, de prendre ses pinceaux et s’est inscrite à l’atelier de la peintre Karen Papacek. Aujourd’hui, elle expose et vend ses toiles, mais sa plus grande œuvre, c’est sa vie. Une vie qui ne l’a pas loupée et lui a joué les plus mauvais tours. A seize ans, forcée et contrainte par ses parents, elle a dû abandonner son enfant à la naissance. Un drame. Depuis, Claire n’a cessé de faire la lumière. Alors elle est venue à l’atelier d’écriture et a rompu le silence. Une leçon de courage magistrale car lorsque les femmes parlent, le monde change. Heureusement la vie a du talent, Claire a métamorphosé ses blessures en une joyeuse et lumineuse empathie envers les autres. Claire n’attend jamais qu’on l’appelle pour nous conduire à la gare, chez le garagiste, remettre de l’ordre informatique dans nos ordinateurs, taper les textes de celles qui ne savent pas le faire, donner des conseils, des adresses, un Google local des plus précieux lorsqu’ on vit dans les champs sans autres voisines que les vaches…
Vieillir, c’est comme des vacances à l’infini où l’on peut enfin se donner du temps et le donner aux autres, répète Guislaine. C’est une renaissance de soi. La preuve : Estelle, enseignante en retraite qui connaît les églises et l’art religieux du Perche aussi bien qu’un conservateur, invite le groupe à chanter en chœur cet amour de l’art et du genre humain dans les églises endormies que le groupe réveille de leurs rires. Le plaisir de vivre est haut et fort, il est au cœur de toutes leurs rencontres. Celles qui ne sont pas encore à la retraite font résonner ce monde qui bouge pour que les plus âgées restent connectées au présent.
Dans un atelier, la diversité des âges et des rencontres s’impose comme un pont-levis pour effectuer avec succès la traversée des âges de la vie. Les plus jeunes apprennent et découvrent cette étape de vie qui les attend. Les autres évoluent avec la modernité. L’apartheid de l’âge est gommé, aboli grâce à la créativité et à la réciprocité qu’apporte le relationnel.
Chacun apporte à l’atelier son pique-nique culturel ou amical ! A tous moments, la troupe se regroupe et déclare la guerre à la solitude. Lorsqu’une une jeune femme annonça avec humour qu’elle commençait l’été avec une panoplie de Barbie pour cancéreuse, non seulement la troupe a pris le parti de rigoler avec elle de ce drôle de costume ; et du coup, les plus âgées n’ont plus osé se plaindre. Clarisse ouvre sa maison quand on fait atelier clandestin. Valérie, cinéphile, prête ses CD et surtout son écriture poétique et surréaliste. Jocelyne déploie ses ailes d’ange blond pour veiller sur chacun, offre son talent de décoratrice à qui le souhaite.
…Suffit d’un clic, d’un appel et les solutions se trouvent. Cela s’appelle la solidarité, la vraie qui rime avec réciprocité. C’est le sésame du vivre mieux en milieu rural pour celles qui s’arrondissent en âge ; il faut juste mettre un pied devant l’autre. Prendre un crayon et apprendre à gommer les différences et surtout l’indifférence à l’autre. Voilà, c’est simple mais « ça marche »…
Joëlle Guillais