Olivier de Ladoucette est psychiatre et gérontologue attaché à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière et président de la Fondation pour la recherche sur la maladie d’Alzheimer. Il est également l’auteur du « Nouveau guide du bien vieillir ». Pour lui, bien vieillir, ce n’est pas vieillir jeune, mais c’est apprendre à s’adapter à l’avancée en âge.
Génération Care : Pensez-vous qu’il faut que la société change de regard sur la vieillesse et le vieillissement ?
Dr. Olivier de Ladoucette : Oui, car j’ai le sentiment que la société française est complètement décalée par rapport à la réalité démographique qui est la sienne. Aujourd’hui, tout le monde aspire à bien vieillir, mais on est dans une approche du vieillissement un peu artificielle et décalée. Ce qu’on entend, c’est un désir de vieillir jeune. Or, cela ne veut rien dire. On peut maintenir son état de santé, se maintenir dans un état d’esprit, ou physique, d’une personne jeune, mais on ne peut pas bien vieillir en étant accroché à des comportements, des logiques, des états d’esprit qui ont 20 ou 30 ans de moins que ceux qui sont attachés à son âge chronologique. C’est une illusion et une erreur.
Il ne faut pas exclure le fait qu’on puisse bien vieillir, apprécier la vie, même si on a des problèmes de santé, sinon on entre dans cette dictature jeuniste. Il ne faut pas tomber dans le travers des reportages où on nous exhibe des super-papys qui font de la planche à voile à 80 ans. Il y en a, mais ce n’est pas non plus forcément le modèle idéal. Le modèle, ce sont des gens qui font ce qu’ils peuvent pour se maintenir en santé. S’ils vont bien, tant mieux, s’ils vont mal, ils s’adaptent, mais ça ne les empêche pas forcément d’être heureux.
G. C. : Alors c’est quoi, précisément, le bien vieillir ?
O. d. L. : Bien vieillir c’est s’adapter aux évolutions, aux changements progressifs qui s’opèrent sur le corps et autour de soi. Le corps commence à ressentir le poids des ans à partir de 35/40 ans. Il s’agit donc de développer, à partir de 40 ans, des activités pour maintenir ses capacités d’adaptation, de manière à pouvoir réagir au changement.
Pour les capacités physiques, on sait que si on s’entraîne, si on a une bonne hygiène de vie, on peut freiner le déclin physiologique.
Sur le plan intellectuel, même si la mémoire est un peu moins performante, il faut conserver une bonne curiosité intellectuelle, savoir diversifier ses sources d’intérêt. Si on est complètement focalisés sur son travail, on ne fait plus que ça, on risque une rupture qui sera très difficile à surmonter au moment de la retraite.
La vie relationnelle, c’est pareil. La solitude est un risque majeur du vieillissement. Pour lutter contre, on peut d’abord essayer de conserver une vie relationnelle active, intense. Si vous avez développé ce goût d’aller vers les autres, de rentrer en relation précocement, vous pourrez continuer à entretenir cette qualité par la suite et ce sera très utile lorsque vous serez vieux, car vous pourrez vous faire de nouveaux amis quand votre cercle va se réduire.
La vie spirituelle enfin est une qualité importante à travailler, qui permet de ne pas être paniqué dès lors que l’on se retrouve seul, confronté à soi-même.
G. C. : Bien vieillir, ça s’apprend ?
O. d. L. : Cela s’apprend et s’entretient tout au long de la vie. On vieillit comme on a vécu. Si on l’a développé avant 65 ans, c’est plus facile. Bien sûr, on peut apprendre à tout âge, mais il ne faut pas rêver, après c’est plus compliqué. Il vaut mieux le faire avant.
G. C. :Aujourd’hui, comment vieillissent les Français ?
O. d. L. : Je décris 3 catégories de vieillissement liées à la conception qu’on se fait de sa propre santé physique et mentale.
• « Le joueur » joue sa vie aux dés. C’est le type d’environ 55 ans qui rend visite à son médecin parce qu’il a vraiment trop mal. Le médecin reconnaît son problème, mais lui dit aussi qu’il devrait changer son mode de vie. Il est obèse, hyper tendu, fume un paquet par jour… Ce à quoi il répond : « ça me regarde, foutez-moi la paix, je vis comme j’ai envie, il faut bien mourir de quelque chose un jour ».
Peut être qu’à un niveau individuel il va s’en sortir et vivre vieux, il y a des exceptions. Mais d’un point de vue statistique, c’est impitoyable, il mourra vers 65-70 ans.
• « Le mécanicien », la grande majorité d’entre nous considère son corps un peu comme une machine qu’on répare quand elle est en panne. On va chez le médecin parce qu’on a mal, il nous examine et nous donne un médicament. Par exemple, quelqu’un a des céphalées régulièrement. Le médecin l’examine, lui dit « oui vous êtes hyper tendu, c’est pour cela que vous avez mal à la tête, je vais vous donner un médicament, mais vous allez également changer votre mode de vie, perdre 10 kilos et faire un peu d’exercice ». En général il le fait 10 jours puis recommence comme avant. Il ne garde que le médicament.
• « Le jardinier » enfin, a une démarche préventive pour bien vieillir.
Le jardinier connaît parfaitement la terre, l’environnement, sait ce qui marche dans certains endroits et pas d’autres, comment tailler ou traiter ses plantes, il a une connaissance des rythmes de la nature très poussée. Il est tout le temps dans l’anticipation de la saison suivante. C’est comme cela que nous devrions fonctionner. Il faudrait que nous soyons les jardiniers de notre longévité.
G. C. : Est-ce accessible à tous de bien vieillir ?
O. d. L. : Il y a évidemment des contraintes plus ou moins indépendantes de notre volonté. Le bien vieillir est une notion qui dépend beaucoup du niveau d’éducation des individus. Mais qui que l’on soit, la vie n’est pas facile et c’est aussi une affaire de choix. Ou on est acteur de son avancée en âge. Ou on décide de prendre notre vie en mains ou on se laisse bercer par les événements.
Propos recueillis par Sandrine GOLDSCHMIDT
Auteur(s) : Dr Olivier de Ladoucette
Nombre de pages : 672 pages
Editions : Odile Jacob