Arrière-petite-fille de François Mauriac, fille de Régine Deforges, Léa Wiazemsky porte un héritage littéraire aussi exaltant que difficile car il n’est pas simple de trouver sa propre voix des mots face à de telles figures de notre patrimoine intellectuel. Mais que les détracteurs remisent leur venin, la fragile Léa Wiazemsky n’a pas à rougir de sa première immersion en République des Lettres et peut se réjouir d’avoir délaissé quelques temps les planches du théâtre pour nous conter cette fable intergénérationnelle dont le frémissement émotionnel ne laisse pas indifférent.
En cause une histoire comme on aimerait en lire plus souvent, une histoire au cœur tout nu entre un vieil homme revenu du pire et Clara une jeune femme en lutte pour trouver sa place dans ce monde et au sein d’une famille portant le poids d’un trop lourd secret. Une rencontre hautement sensible entre ces deux êtres malmenés par l’existence qui se dévisagent puis s’envisagent autour du plat du jour d’un restaurant où Clara sert ses clients. Connectée aux ressentis, Clara tombe vite sous le charme du vieil homme qui déjeune seul et ose l’aborder par l’entremise d’un roman. Et quel roman, puisqu’il s’agit des Illusions perdues d’Honoré de Balzac, dont la jeune femme dévora chaque page alors qu’elle était une adolescente introvertie convoitant auprès des livres cet exil que son environnement ne lui autorisait pas. Suivront plusieurs rebondissements entre ces deux êtres marqués par le manque d’amour et poursuivis par le passé. Celui ayant trait à la seconde guerre mondiale qui par ses sommets d’horreur a condamné à une mort concrète ou symbolique des millions de familles. Mais face à la barbarie ont aussi lutté des hommes et des femmes de l’ombre déterminés à ce que l’infamie n’anéantisse pas les valeurs portées par la France libre. Trahis l’un et l’autre par la bêtise des hommes, Clara et le vieil homme vont sur un air de Trénet dénouer les meurtrissures du passé, et de cette broderie de l’intime naîtra une délicate histoire d’amitié.
Premier roman quêtant les origines et démontrant à quel point la transmission par l’intergénérationnel permet la construction du futur, « Le vieux qui déjeunait seul » est un chant aussi pudique que vibrant lancé aux cyniques éructant le chaos et la discrimination. Moment d’humanité porté par une plume simple et tendre, ce roman évoque tous ces possibles qu’ouvre le rapprochement entre les âges et c’est la gorge serrée que l’on referme la dernière page. Oui, Saint-Exupéry n’avait pas fait fausse route lorsqu’il avait fait dire à son Petit Prince que l’essentiel est invisible pour les yeux car on ne voit bien qu’avec le cœur.
Une jolie lecture d’été qui donne envie de suivre cette jeune romancière dont on pressent qu’elle osera davantage dans ses futurs projets littéraires. Léa Wiazemsky rend aussi un bel hommage à sa mère Régine Deforges, décédée en 2014, et on perçoit au creux de ses lignes que l’héritage de l’insoumission féminine lui a bel et bien été transmis.
Astrid MANFREDI
Informations pratiques :
Titre : Le vieux qui déjeunait seul
Auteur : Léa Wiazemsky
Editeur : Michel Lafon
Nombre de pages : 172
Prix France : 14,95 euros TTC