Quand il arrive en région parisienne pour suivre ses études de graphisme, Mathurin rejoint la cohorte des étudiants pauvres sans logement ni argent avec des rêves plein la tête. Mais il faut bien vivre, avoir un toit. Et ce nid, Mathurin le trouvera chez Germaine, une nonagénaire, dont il deviendra le colocataire. La contrepartie pour le jeune homme : être présent et maintenir ce dernier fil de résistance qui permet à Germaine de retarder l’inéluctable et déchirant placement en maison de retraite.
Et voilà notre héros en route pour la grande aventure intergénérationnelle dont il va avec toute l’acuité de son observation, chroniquer et illustrer les tours et détours, les moments de joie comme ceux de tristesse. Cette peine occasionnée par des forces vitales qui s’effilochent, la mémoire qui flanche, les pilules bleues et roses qui s’amoncellent dans des boîtes comme autant de rappels à l’ordre. Pas simple de vieillir chez soi, de conserver sa boussole intérieure, de ne pas engloutir les petits gâteaux rassis depuis plus d’un an, de flâner du rez-de-chaussée à l’étage dans sa propre maison en sachant que ces quelques marches sont les seuls espaces de liberté désormais disponibles.
Une expérience inoubliable pour Mathurin qui, face à cette vieille dame de cinq fois son âge, réapprendra le sens de la solidarité et découvrira le goût de la dérision tantôt involontaire et tantôt espiègle de son hôtesse dont le lit porte encore l’empreinte de son époux. Car c’est aussi cette mémoire que restitue Mathurin, l’âme de cette maison jamais quittée où la vie a laissé ses signatures, celle de l’usure des corps et des cœurs mais aussi celle des petits bonheurs qui épicent l’existence alors même qu’il faut parfois tout ce temps pour comprendre que l’infiniment grand se niche dans l’infiniment petit. Et c’est à ces détails infimes que s’attache encore Germaine car elle sait que se souvenir, c’est continuer à vivre.
En dépit de son dentier qu’elle oublie dans son tablier, de ses larmes qui ne coulent plus, en dépit de son ouïe qui se fait plus sélective, Germaine offre à ce jeune homme ses derniers soubresauts de lumière, et derrière l’humour et les coups de colère se lit son désir de vivre. Vivre encore. Manger des frites avec les doigts, boire un petit verre de vin, caresser du regard les objets laissés par ceux partis trop tôt, s’émerveiller du renouveau des fleurs, préparer le café du matin, fêter ses quatre-vingt-dix-sept ans en famille et faire venir pour l’occasion le coiffeur. Rester belle et digne. Rester une femme.
Tendre, émouvante mais aussi hilarante, cette chronique intergénérationnelle relate bien plus qu’un fait de société car elle est aussi un hommage rendu par un tout jeune homme à nos aînés. Ces vieux qu’on oublie souvent d’écouter pour faire notre vie, alors même que nous sommes le fruit de ces jalons qu’ils ont posés pour assurer notre devenir. La vieillesse n’est pas un naufrage mais une autre embarcation qu’il faut savoir regarder au fond du cœur. C’est bien là le plus beau cadeau qu’on puisse lui accorder.
Astrid Manfredi
Informations pratiques :
Titre : J’habite au troisième âge
Auteur : Mathurin
Editeur : Lemieux Editeur
Prix France : 18 euros