Le « baluchonnage » est un modèle d’accompagnement des personnes atteintes d’Alzheimer et de leurs aidants à domicile inventé au Québec il y a 16 ans par Marie Gendron. Une formule de répit et d’accompagnement innovante qui tente – non sans difficultés – depuis deux ans de s’implanter en France.
Marie Gendron, infirmière et chercheuse en gérontologie fondatrice de « Baluchon Alzheimer Québec » a été confrontée à une situation qui a fait se croiser sa vie personnelle et professionnelle, explique Frédérique Lucet, secrétaire générale du « Réseau Euro Québec de coopération autour de Baluchon Alzheimer ». « Un couple de ses amis, Edith Fournier et Michel Moreau a été confronté à la maladie d’Alzheimer de Michel. Forte de sa compétence professionnelle, et de son désir de les soutenir, elle a proposé à Edith de prendre quelques jours de répit et de la remplacer auprès de Michel pendant cette absence, inventant ce qui allait devenir la formule du « Baluchon Alzheimer ».
L’idée est donc de permettre à l’aidant de prendre quelques jours de répit hors du domicile, tout en évitant au malade un hébergement temporaire qui pourrait lui être préjudiciable, en venant loger sur place. « Il s’agit de remplacer l’aidant par une personne unique, qui va se fondre dans les habits de l’aidant en son absence, avec le moins de perturbation possible », explique Frédérique Lucet.
« Baluchon Alzheimer » (aujourd’hui association à but non lucratif) fait le pari d’une intervention minimaliste, au sens où il s’agit de changer le minimum de choses possibles dans la vie quotidienne du malade. Toutes les interventions à domicile sont conservées* (soins, aides ménagères, visites, accueil de jour…) ce qui offre du temps de repos pour la « baluchonneuse ».
Du répit, mais aussi de l’accompagnement
Mais le baluchonnage ne s’arrête pas à l’offre de répit. Durant son séjour à domicile, la « baluchonneuse » essaie d’entrer en communication avec la personne atteinte, en tissant une relation de confiance. En outre, à la lumière de son expérience et de ce qu’elle a observé, elle offre de l’accompagnement. Grâce à sa formation et au fait qu’elle est en permanence en lien avec l’organisation, elle parvient à observer et dénouer des situations difficiles. Ce sont des choses parfois très simples qui peuvent faire la différence, comme par exemple la disposition des miroirs dans la maison, qui peuvent provoquer des situations de crise, si le malade qui passe devant ne se reconnaît pas.
Du Care pour les baluchonneuses
La « baluchonneuse » (il n’y a actuellement qu’un seul homme baluchonneur au Québec) doit par ailleurs elle-même bénéficier de l’encadrement et du soutien de l’organisation, tant son investissement est important.
Il s’agit « d’un travail d’équipe très particulier, très formalisé». D’abord, par le recrutement : « nous recherchons des personnes de cœur et de passion », dit Frédérique Lucet, citant Marie Gendron. Ensuite, elles sont accompagnées et formées, elles forment un petit collectif de baluchonneuses, il y a une directrice clinique et une psychologue qui mettent en place l’organisation du travail. En exercice, les baluchonneuses bénéficient d’une formation continue, de journées de ressourcement, de week-ends pour échanger sur les bonnes pratiques, de supervisions.
Enfin, elles peuvent joindre 7j/7 et 24h/24 la coordinatrice clinique en situation difficile et les autres baluchonneuses via internet. Même seules au domicile, elles ne sont jamais isolées.
Le temps de travail et les questions financières : des obstacles à l’exportation du modèle en France ?
Cela fait deux ans que le réseau « Euro Québec autour du baluchon Alzheimer » tente de rendre possible le baluchonnage en France. Principal problème : le temps de travail des baluchonneuses, le travail en continu étant interdit.
Toutefois les choses avancent, une dérogation à la réglementation dans le salariat est envisagée dans la Loi d’adaptation de la société au vieillissement, assortie d’une condition de bientraitance des professionnels, pour leur éviter le burn-out.
Frédérique Lucet estime que l’expérience québecoise a montré que c’était possible, grâce à son mode de management. « Pour moi, on est dans quelque chose de qualitativement différent d’une mission de travail habituelle. Le baluchonnage demande de l’autonomie, de la responsabilité, on n’est pas dans une relation hiérarchique ou autoritaire ». Enfin, la baluchonneuse est libre d’accepter ou de refuser une mission, et reçoit un salaire qui peut être considéré comme valorisant**.
Sandrine Goldschmidt
*Ces questions seront abordées lors du colloque organisé par le Réseau Euro Québec autour de Baluchon Alzheimer : « Baluchonner en France, c’est possible ! Questions cliniques, économiques et financières » le 2 juin 2015 à Rouen, Hôtel du Département.
**200 euros par jour, y compris les jours de repos qui suivent la mission (1 jour de repos par jour de mission).
Références :
– Edith et Michel, film de Jocelyne Clarke, 2004, Productions Erézi.
– Sophie Ethier, rapport de recherche sur l’expérience morale des baluchonneuses, en ligne sur le site.
– Le Réseau Euro Québec de Coopération autour de Baluchon Alzheimer est en ligne sur Facebook et LinkedIn.