Toutes les personnes que je rencontre, et qui ont plus de 55 ans, ont une expérience commune : la surprise de se découvrir « vieilles » dans le regard des autres. Cela arrive sans prévenir dans la sphère privée ou dans le cadre professionnel.
Quand vous rencontrez Marie pour la première fois, vous êtes frappé par son dynamisme, sa joie de vivre, son optimiste. Toujours prête à faire sa valise pour visiter un nouveau pays, apprendre une nouvelle technologie, entrer en contact avec des personnes d’autres pays ou continents. Elle a des enfants d’une quarantaine d’années, des petits-enfants, des amis dans la cinquantaine.
Aussi, quelle a été sa surprise quand elle a compris qu’elle était « vieille » dans le regard des autres.
« La première fois que ça m’est arrivé, je me souviens très bien. Je me sentais particulièrement en forme ce jour-là, j’étais bien habillée, maquillée. J’entre dans le métro et une jeune femme se lève spontanément pour me céder sa place. Surprise. Je refuse, prétextant descendre bientôt. Mais la jeune fille insiste » A votre âge, vous devez être fatiguée « .
A votre âge ? Mais que veut-elle bien dire ? Est-ce que je fais si vieille que ça ? Certes, je suis moins agile, je marche moins vite, j’ai moins de résistance. Les rides se montrent insidieusement sur mon visage, surtout quand j’ai mal dormi. Mais, de là à me parler de mon âge ?
Cette histoire peut vous paraître anecdotique, elle est pourtant révélatrice. Chacun de nous a finalement 3 âges : celui indiqué sur notre passeport, celui que nous pensons avoir et celui que l’on voit dans le regard ou les attitudes des autres. Et il y a souvent collision entre ces différents âges.
Le plus difficile est d’ailleurs celui que l’on voit ou ressent dans le regard des autres.
Cette personne qui a tant choqué Marie voulait bien faire. Ne lui avait-on pas appris à laisser dans les transports sa place à des vieilles dames, à aider quelqu’un à porter un objet lourd dans un escalier, comme on le fait pour des jeunes mamans avec leur poussette…
Mais là, c’est différent car ça peut être mal vécu. Mal vécu parce que, dans notre société portée sur la jeunesse, il est mal vu de devenir vieux.
Mal vécu, parce que, quand on a toute sa vie été autonome, plein d’énergie et maître de ses activités, il est difficile d’admettre que l’on est plus fragile, plus fatigué.
Mal vécu, parce que, quelque part, c’est un peu renoncer à son autonomie.
Qui ne se souvient de sa grand-mère refusant obstinément que l’on mette la table à sa place, alors qu’on voyait bien qu’elle avait du mal ?
Alors, oui, tous ces actes accomplis par bienveillance sont importants, mais ils peuvent aussi, paradoxalement, blesser ou interpeller car ils renvoient une image de soi que l’on a finalement du mal à accepter…
Cristelle Ghekiere