« 50 nuances de grisonnant » ouvre le bal des réponses que nous souhaitons apporter sur Génération Care à une question aussi simple que complexe : à quel âge est-on vieux ?
« Quand on a des cheveux blancs » a répondu Lucas, 9 ans, qui a immédiatement ajouté « sauf que moi je suis plus vieux que mon petit frère, mais mes cheveux ils sont noirs, tous noirs ! » Ainsi Lucas a-t-il pointé trois choses essentielles dans sa réponse : être vieux relève d’un changement physique, mais pas seulement ; être vieux est relatif ; être vieux, ou en tout cas le devenir, donne des cheveux blancs.
On ne blanchit pas du jour au lendemain
Quelle drôle de question que celle-là : à quel âge est-on vieux ? En la posant on suppose qu’un nombre défini d’années transforme soudainement l’individu en vieux. Comme si, un jour, un couperet tombait, séparant l’être de sa jeunesse et le faisant tomber à l’état de vieillesse. Illusion, et Lucas le sait bien. Sa cousine, 21 ans, a récemment été effrayée en découvrant son premier cheveu blanc ; sa mère, 39 ans, est ravie d’être passée à la coloration bio, régénérante ; son père, 44 ans, s’inquiète plus de son crâne qui se dégarnit que de ses tempes qui blanchissent ; sa grand-mère, 76 ans, fanfaronne que sa sœur de 5 ans sa cadette est déjà toute blanche, elle.
On grisonne à mesure que les âges nous initient à la vie
Le changement physique qui s’opère tout au long de notre vie est toujours accompagné de notre changement psychique, social, familial… Se découvrir enfant, se redéfinir adolescent, se construire adulte et se reconstruire, parfois. A chaque changement, nous quittons une part de nous-mêmes pour en acquérir une nouvelle. Un jour, devenus trop vieux pour ceci ou par rapport à ceux-là, nous réinventons nos vies et redevenons jeunes dans un domaine, parce qu’inexpérimentés. Ainsi l’exemple typique du sportif de haut niveau qui, aux yeux de sa discipline, est vieux, donc fini, à 35 ans mais qui devient jeune retraité / entraîneur / entrepreneur, suivant sa reconversion. Un passage où il se fera sans doute quelques cheveux, mais qui lui enseignera, bon gré mal gré, que la progression c’est aussi ça : vivre, c’est vieillir.
Le nouveau-né, lui-même, est déjà poivre-sel
Ainsi, ce n’est pas un âge qui fait l’être vieux, mais bien tous les âges. Des âges faits d’environnements, de circonstances, de projets, de sens différents. Des âges qui se succèdent et nous nourrissent à jamais. Des âges qui se fondent en nous et qui fondent notre singularité. Le premier âge de l’humain fait partie de ces âges-là. Au bout de 9 mois passés dans le ventre de sa mère — s’il n’est pas né prématurément —, le petit d’homme quitte un placenta vieillissant pour aller chercher la vie ailleurs, au-delà de l’enceinte maternelle, là où il sera accueilli comme un nouveau-né. Cette date marquera ainsi sa naissance, point 0 de ses âges à venir, mais elle marquera aussi le temps où il était devenu trop vieux pour la vie fœtale. Question de relativité.
Quand les grisonnants nuancent
Si cette relativité, Lucas, plus vieux que son petit frère, l’a bien comprise, il s’empresse pour autant de s’inscrire contre la vieillesse blanche en brandissant l’entière jeunesse de ses cheveux noirs, tous noirs. Comme pour se rassurer. Ainsi, à l’instar de l’expression, associe-t-il les cheveux blancs, donc le vieillissement, à l’inquiétude. Vieillir fait peur. Vieillir, c’est la peur, celle de mourir. Alors, face à elle, chaque grisonnant nuance et se compare, comme pour mieux se cramponner à la vie. « Le cardiologue a dit que j’avais un cœur de jeune homme. » « Ils font une fête pour mes 80 ans, mais dans ma tête, j’ai toujours 20 ans. » « Ma mère faisait tellement plus vieille que moi, au même âge. » « 59 ans et jeune papa, qui a dit que je vieillissais ? » De la peur du vieillissement à son déni, il n’y a parfois qu’un pas.
Comment ne plus se faire de cheveux blancs ?
S’il est difficile de lutter contre cette inquiétude qui imprègne la racine même de nos existences, on tente tout au moins de la cacher. Ainsi, en matière de chevelure, on tire d’abord sur les premiers cheveux blancs et, lorsque ceux-là se multiplient, vérifiant l’adage « Arrache un cheveu blanc et dix viendront à son enterrement », on passe à la teinture. Eclatante stratégie qui ne fait pourtant en rien disparaître l’essence même de notre grand tracas : le vieillissement reste un processus irréversible — pour le moment en tout cas —, et si nous voulons vieillir mieux, donc vivre mieux, l’une des pistes est sans doute de l’accepter. Notre vécu fait nos nuances, de jeunesse et de vieillesse. C’est là tout le sens de notre expérience.
Mais tout de même, à quel âge est-on vieux ?
Si la réponse de Lucas « Quand on a des cheveux blancs » nous a justement conduits sur le devenir vieux de tous les âges, reste que la démonstration ne nous permet pas d’arrêter de nous poser la question : à quel âge est-on vieux ? Pourquoi donc voulons-nous la réponse ? Cela sera sans doute la prochaine étape de notre questionnement. En attendant pouvons-nous penser que lorsque tous nos cheveux seront blancs nous n’aurons plus à nous en faire et notre âge ne nous importera guère. Nous serons vieux.
Sarah Décarroux